Avez-vous déjà entendu dire que les jeunes parlent mal et font preuve de lâcheté parce qu’ils raccourcissent des mots? Eh bien, sachez que c’est vrai…ment faux!
Un texte de Ada Luna Salita – Dossier Éducation
Ce phénomène s’appelle la troncation et il consiste à abréger un mot en en retranchant une partie. Plus précisément, il s’agit d’une aphérèse lorsqu’on retranche le début d’un mot, comme c’est le cas pour bus où on a tronqué les deux premières syllabes d’autobus. À l’inverse, il s’agit d’une apocope lorsqu’on retranche la fin d’un mot, comme dans télé où ce sont les deux dernières syllabes de télévision qui ont été tronquées. En français, c’est ce dernier procédé qui est le plus courant. D’ailleurs, il est tellement fréquent que toutes les générations précédentes ont eu recours à cette forme de troncation. En effet, qui dit encore qu’il se déplace à vélocipède ou en métropolitain? Ces mots n’ont plus cours à l’oral dans la langue française puisqu’ils ont été remplacés par leur forme tronquée respective, soit vélo et métro. Toutefois, même si ce sont des troncations, vélo et métro ne sont pas critiqués, car leur forme longue n’est plus utilisée. Ce sont plutôt des mots dont la forme longue est encore en usage qui font l’objet de jugements négatifs comme barbec pour barbecue ou asso pour association. De ce fait, la forme longue d’un mot, quand elle est encore en usage, est privilégiée lorsqu’on s’exprime dans un langage neutre ou soutenu, car la forme tronquée de ce même mot est souvent associée à un langage familier.
Par conséquent, entre amis ou en famille, les formes tronquées sont les bienvenues, mais en contexte formel, mieux vaut utiliser les mots sous leur forme longue.
De plus, la troncation indique que les gens savent respecter certaines règles liées au langage, même si cela est inconscient. Effectivement, on n’abrège pas n’importe quel mot! On tronque surtout les mots qui expriment des réalités concrètes qu’on peut se représenter facilement. Par exemple, un appartement est plus concret pour soi que la planète Jupiter, c’est pourquoi le premier mot possède la forme tronquée appart alors que le second n’en possède pas. Cet exemple témoigne aussi d’une autre règle voulant qu’une troncation doive répondre à un besoin dénominatif. Ainsi, comme nous n’avons pas besoin de référer aussi souvent à Jupiter qu’à son chez-soi, il est normal que seul appartement soit tronqué. Également, il doit y avoir une certaine familiarité avec la réalité représentée par le mot à tronquer.
De la sorte, on abrège facilement des toponymes connus comme Sherbrooke qui devient Sherby et des noms de marques populaires comme McDonald’s qui devient McDo ou Radio-Canada qui devient Radio-Can.
Par ailleurs, la troncation n’est pas inutile. Elle peut servir à établir une forme de connivence avec la personne à qui on s’adresse. Ainsi, lorsqu’une personne utilise un mot tronqué, c’est qu’elle croit que son interlocuteur comprend la référence et qu’ils ont donc une connaissance implicite en commun.
Par contre, cela ne s’applique pas à toutes les formes tronquées. Assurément, il n’y a aucune complicité dans le fait d’utiliser la troncation taxi plutôt que taximètre avec quelqu’un d’autre, car seulement la forme courte est connue. Néanmoins, si quelqu’un parle du quartier d’Hochelag dans lequel il a grandi, c’est qu’il assume que l’autre sait de quoi il parle et qu’il lui fait part de son sentiment d’appartenance au quartier d’Hochelaga-Maisonneuve dans la ville de Montréal.
Finalement, la troncation est un phénomène dont la fréquence est élevée chez tous les groupes d’âge et qui répond à des règles en plus d’avoir une raison d’être. Elle n’est donc pas une forme de lâcheté chez les jeunes, mais bien la preuve que tous sont capables de se saisir de la langue afin de s’exprimer.
[…] texte de Ada Luna Salita publié sur Reflet de Société – […]