Reflet de Société

Rénovictions : Ma cité évincée

Par Colin McGregor  | Dossier Économie

Montréal, dernière ville nord-américaine aux loyers à peu près abordables, est devenue un champ de bataille. La crise du logement et les « rénovictions » en poussent plusieurs à la rue.

Le film Ma cité évincée, est réalisé par deux jeunes cinéastes, Laurence Turcotte-Fraser et Priscillia Piccoli. Il explore le thème des rénovictions. On y présente la lutte des locataires du Manoir Lafontaine, un immeuble de 91 logements sur le Plateau Mont-Royal, construit en 1967, contre les propriétaires de Hillpark

Ces locataires deviennent collectivement un symbole de résistance des contrecoups de la spéculation immobilière à Montréal. Ils étaient encouragés – avec des tactiques pas toujours drôles – à quitter leurs appartements afin que le propriétaire de l’immeuble puisse faire des rénovations dans l’optique de doubler, voire tripler le loyer de chaque unité. C’est ce qu’on appelle une rénoviction. 

Rénovictions : Ma cité évincée

La vedette est indiscutablement Loan Nguyen, locataire et organisatrice de la bataille contre le propriétaire. « Le 30 juin 2021, Hillpark nous intimait de quitter nos logements pour des motifs nébuleux » mentionne-t-elle. Une bataille très médiatisée, devant le Tribunal administratif du logement de Québec. Hillpark vend l’immeuble à Interloge, avec l’obligation de conserver abordables les logements bientôt rénovés. « C’est grâce à leur solidarité qu’ils ont pu faire ça, observe Laurence; c’est une victoire citoyenne. »

Mais il a fallu deux ans sans réparation de l’édifice, avec seulement deux laveuses pour 12 étages. Deux ans de manifestations et de plaintes devant le Tribunal. Celui-ci n’aborde pas de plaintes collectives. Chaque résident a dû déposer sa propre plainte. Le documentaire de 80 minutes relate méticuleusement toute cette saga. 

Les deux cinéastes sont d’accord : l’implication de toute la communauté est nécessaire pour contourner les plans des spéculateurs immobiliers. Ceux-ci deviennent plus rusés et parfois brutaux afin de chasser leurs locataires de leurs appartements qu’ils habitent pourtant depuis longtemps.

« Ils s’en prennent à des personnes âgées, dit Priscillia. Ils reprennent des immeubles de 60 à 90 unités. » Un juge du Tribunal a dit : « Tu ne peux pas faire n’importe quoi avec cet immeuble. » Mais face à des moyens de pression, des lettres de Hillpark, une trouvaille d’amiante dans les murs (une tactique typique) et des menaces d’expulsion, plusieurs locataires ont déjà quitté le bâtiment avant que Hillpark ne jette l’éponge.

Maggie Sawyer a résisté et est restée jusqu’à la fin, elle habitait dans le bâtiment depuis 1969, où elle était la plus âgée. « Elle n’a pas sa langue dans sa poche », dit Laurence, et plusieurs de ses commentaires sont inclus dans le documentaire.

Ce ne sont pas toutes les luttes qui se terminent bien, admet Laurence : « C’est pas tout le monde qui gagne. » Durant le tournage, elle a été elle-même évincée de son appartement après huit ans de location, à la suite d’une rénoviction : « Je me trouvais dans le même bateau que plusieurs autres personnes. »  

Comme disait Tania Charron, directrice générale du Refuge des jeunes Ricochet : 

La crise du logement frappe dur, et frappe fort. Je vous défie de trouver un logement avec une prestation d’aide sociale de 807 $ par mois. L’itinérance va en augmentant. L’inflation augmente. L’épicerie coûte la peau des fesses. Les banques alimentaires ne suffisent pas à la demande. Obtenir des soins de santé ou des services sociaux est un acte de persévérance. Ce n’est pas l’inquiétude qui nous habite, c’est la panique. Il n’y a pas de logement, il n’y en a juste pas.   

« Les images parlent. On n’a rien truqué », ajoute Priscillia.

Depuis la sortie du documentaire, les cinéastes ont reçu beaucoup de commentaires de la part des régions où le même phénomène se produit : les rénovictions ne concernent pas juste Montréal. 

Il a été diffusé devant les partis politiques à Québec. Des politiciens de toutes les formations l’ont vu. Il a aussi été analysé et commenté à l’Assemblée nationale. Les trois partis qui s’opposent au gouvernement de la CAQ ont tous dit qu’il fallait faire quelque chose, en proposant un projet de loi protégeant les locataires des rénovictions. La CAQ a refusé de l’adopter.

Le film a nécessité « beaucoup de jus de coude et d’amour », dit Priscillia. Il fallait trouver des fonds du Conseil des arts du Québec et du Canada. Il a fallu du temps afin de gagner la confiance des locataires et des intervenants.

« En phase finale de montage, on l’a fait visionner aux principaux intervenants. » Par la suite, elles ont changé une scène, explique Priscillia.

Le film fut tourné durant la pandémie, c’est pourquoi les liens de confiances forgés entre cinéastes et sujets étaient encore plus forts. Durant le tournage, Priscillia faisait une formation comme préposée à un centre d’itinérance. « J’ai vu le visage de l’itinérance changer, dit-elle. Au début, 50 % étaient autochtones. En 2020, pendant la pandémie, de nouvelles personnes en situation d’itinérance sont arrivées, des femmes battues qui fuyaient leur mari… C’était une crise constante. »J’ai demandé à Laurence ce que l’on pourrait faire afin d’améliorer la situation. Elle a répondu : « Beaucoup de choses. Faire du bénévolat dans votre quartier. Observer la réalité de ses voisins. La solidarité sociale, c’est la meilleure façon d’aider. Chaque personne peut faire une différence. »

Ma cité évincée, 80 min, documentaire de Laurence Turcotte-Fraser et Priscillia Piccoli. Disponible sur le site-web Les Films du 3 Mars à f3m.ca.


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