Par Colin McGregor | Dossier Économie
Quand François Saillant était jeune garçon, il habitait dans un taudis avec son père, un concierge, dans le quartier populaire de Saint-Sauveur, à Québec.
« On avait des rats, » se souvient-il. « On ne les voyait pas. Mais on les entendait. La voisine en bas en a vu un derrière ses rideaux, et a crié fort. »
Le revenu de son père était très bas au début de sa carrière. Il a participé au syndicalisme, et l’action de son syndicat a fait augmenter son salaire.
François a acquis une sensibilité pour la justice sociale qui l’a mené à devenir le porte-parole du FRAPRU (le Front d’action populaire en réaménagement urbain) pendant plus de 37 ans et leur coordinateur pendant la plupart de ce temps.
Dans le livre Dans la rue, il relate l’histoire du FRAPRU. Avec la crise du logement, son ouvrage résonne avec l’actualité. Saillant retrace comment nous en sommes arrivés à cette situation en rapportant les étapes de la lutte pour des logements abordables et salubres au Québec depuis les années 1940.
Le FRAPRU a été fondé en juin 1979. Il compte 30 groupes membres et 110 à 120 groupes membres associés qui lui permettent d’avoir « des antennes dans toutes les régions du Québec, » dit-il.
Le livre regorge d’informations, tel un véritable livre d’histoire. Saillant dit avoir profité d’une excellente mémoire et de nombreuses archives – « Je sauvegarde tout. » L’ouvrage liste une litanie de manifestations, d’occupations, de squats, de campagnes politiques et médiatiques, de déceptions – et, parfois, de victoires.
Éveil militant
Dans sa jeunesse, il a étudié le journalisme, mais « je n’avais aucune envie de travailler pour les médias de masse, » dont il se méfiait. En collaboration avec des amis, il a créé un groupe qui réalisait des vidéos sur l’habitation à Québec. C’est suite à ce projet qu’il a trouvé un emploi au FRAPRU.
Il n’a jamais regretté sa décision de tourner le dos aux médias traditionnels afin d’œuvrer dans le secteur communautaire: « J’avais une liberté de parole et d’action que je n’aurais pas eues dans les grands médias. Et de plus, la cause me tenait à cœur. »
La lutte pour des logements était différente dans les années 60 et 70 : « C’était une lutte contre les démolitions en masse, » dit-il. Où se trouve la Maison Radio-Canada aujourd’hui était, au début des années 60, le « Faubourg à m’lasse, » un quartier avec plus de 800 logements, démolis en 1963 pour faire place à la tour et des places de stationnement. En somme, 5 000 habitants ont été expulsés ; 12 épiceries, 13 restaurants, une vingtaine d’usines ont été détruits.
Entre 1957 et 1974, nous dit Saillant, 28 000 logements ont été démolis à Montréal. Le centre-ville est donc bâti sur les cendres de logements abordables.
Les vraies luttes pour les logements salubres ont commencé dans le sud-ouest de la ville (La Petite-Bourgogne, St-Henri) dans les années 60, menées par des comités de citoyens. Après, dans les années 70, c’était le tour des comités de logement et les comités de locataires d’agiter.
Les « rénovictions » existaient, débutant au Plateau Mont-Royal dans des années 80, mais c’est devenu un phénomène beaucoup plus puissant avec l’entrée des gros joueurs qui possèdent 10 000 ou 20 000 unités, souvent des fonds de placement immobiliers.
Dans les régions
Ce n’est pas un problème uniquement limité à Montréal. « Sur 45 gros centres urbains au Québec, 44 sont en situation de pénurie de logements, » explique Saillant. « Il y a un campement de sans-abris à St-Georges de Beauce. Ils sont partout » dit-il en secouant sa tête tristement.
Il y a 15 centres urbains québécois de 10 000 personnes et plus où le taux de logements inoccupés est inférieur à 0,5%, comprenant : Gaspé, Rimouski, Rivière-du-Loup, Baie-Comeau, Roberval, Alma, Drummondville, Sorel-Tracy, Granby, Salaberry-de-Valleyfield, Marieville, Sainte-Adèle, Saint-Sauveur, Sainte-Sophie, et les Îles-de-la-Madeleine.
À Sherbrooke, Trois-Rivières et Saguenay, le taux n’est que de 0,9%. À Québec, il a chuté à 1,5%. À Montréal, le taux était de 2,3% en novembre 2023. L’offre, à Québec et à Montréal, est inférieure dans les fourchettes de loyers les moins élevées.
Saillant était militant au Parti Québécois dans les années 60-70 et marxiste-léniniste dans des années 70-80 lorsque plusieurs membres du FRAPRU venaient des rangs de l’Action catholique, une formation religieuse gauchiste. Il a pu travailler avec un large éventail d’acteurs venant d’horizons différents. Saillant est un charmant rassembleur de nature. Néanmoins, son sourire chaleureux cache des dents d’acier.
Il était acharné en poursuivant ses causes, arrêté quelques fois – notamment à deux reprises lors de la lutte contre un projet de condominiums dans le quartier Overdale, au centre-ville de Montréal, dans les années 1980.
À Overdale, l’enjeu était la survie de la maison du patriote Louis-Hippolyte Lafontaine ainsi que d’autres vieilles maisons, quelques-unes insalubres, dans l’ouest du centre-ville montréalais. Saillant s’est battu aux côtés des locataires menacés. Le projet de condominiums de luxe prévu sur le site n’a pas été construit à ce temps-là.
Trente ans plus tard, des condos ont été enfin construits sur le site.
Il veut que notre lectorat comprenne que quand les politiciens blâment les immigrants pour la crise du logement, c’est faux. « Même dans les centres où l’immigration n’est pas sentie, dans les régions, il y a un problème. »
Il blâme le retrait du gouvernement fédéral auprès du secteur des logements sociaux – un retrait signalé par le gouvernement conservateur de Brian Mulroney en 1993, et suivi par le ministre libéral des Finances, Paul Martin, au nom du contrôle du déficit en 1994. « Les libéraux ont dénoncé le retrait conservateur annoncé en 1993, puis ils ont été élus, et ils ont mis en pratique les coupures. Plus de 80 000 logements auraient pu se réaliser qui n’ont pas été réalisés, » estime Saillant. « Quand tu blâmes l’immigration pour la crise de logement, regard dans ta propre cour. »
Optimiste
Toutefois, Saillant est optimiste quant au pouvoir du secteur communautaire d’effectuer des changements positifs dans la société. Par exemple, après le retrait fédéral, le FRAPRU s’est tourné vers le provincial. AccèsLogis, un programme québécois de logement social, a été créé en 1997. « Depuis ce temps ils ont réalisé 43 000 logements sociaux – coopératifs et de sens non lucratifs. Ça n’a pas entièrement compensé le retrait fédéral. Mais si on n’avait pas lutté, on n’aurait pas ces logements-là. »
D’autres petites victoires, comme au Manoir Lafontaine, l’arrêt d’une rénoviction dans un immeuble avoisinant le parc Lafontaine, lui donne l’espoir. Ils ont pu arrêter les plans de rénoviction suite à une longue lutte par l’action des groupes communautaires et ses 91 résidents.
Et selon Saillant, grâce au FRAPRU et d’autres organismes, la loi stipulant que le gouvernement peut saisir une grosse partie des chèques d’aide sociale de ceux qui ne payent pas leur loyer n’a jamais été appliquée.
Avec 8 000 organismes communautaires recensés au Québec en 2019, il écrit dans son livre, « les groupes collectifs des droits ont continué à prendre leur place et à jouer un rôle indispensable. »
À la fin de Dans la rue, Saillant nous demande : « Bien sûr, le FRAPRU dérange dans les officines gouvernementales, mais où en serait le droit au logement, s’il ne l’avait pas fait par le passé et s’il ne le faisait pas encore? »
Dans la rue : Une histoire du FRAPRU et des luttes pour le logement au Québec. Publié par les Éditions Écosociété, 2024. 256 pages.
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