Critique Littéraire : Opération Scorpion

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Opération Scorpion : Les dessous de la plus grande enquête sur la prostitution juvénile au Québec

Par Maria Mourani et Roger Ferland

Les Éditions de l’homme   311 pages

Par Colin McGregor

Dossier Prostitution et Criminalité

Une jeune fille facilement impressionnable de 15 ans, au centre commercial avec ses amies, rencontre un homme plus âgé, dans la vingtaine, qui passe pour un artiste hip-hop bien connu. Intriguée, elle reste en contact avec lui. Il est charmant. Il flatte la fille, lui disant qu’elle est extrêmement belle. Il dépense librement de l’argent sur elle, lui achète des vêtements et de la drogue, et lui promet beaucoup plus à l’avenir. Il est actuellement membre d’un gang de rue.

Une belle soirée, il l’invite à revenir dans son appartement avec ses amis. Lui et elle font l’amour. Ensuite, l’homme insiste pour que la fille couche avec ses amis aussi. Elle refuse, choquée.

L’homme lui donne des coups de pied et l’enferme dans un placard pendant plusieurs heures jusqu’à ce qu’elle dise oui. Appréciant d’avoir été libérée, elle pratique des fellations sur plusieurs de ses amis. Et elle est maintenant amoureuse du « rappeur » charmant mais brutal. Le cœur humain est parfois un endroit étrange.

Et c’est ainsi que les jeunes adolescentes sont attirées dans le monde miteux de la prostitution mineure. Les sortir de ce bourbier n’est pas facile ni pour la police ni pour les parents. Mais il y a un peu plus de 20 ans, à Québec, une vaste opération policière a été menée pour sortir ces victimes du monde effroyable dans lequel elles étaient attirées.

Critique Littéraire : Opération Scorpion

Opération policière

Le 17 décembre 2002, la paisible ville de Québec, la tranquille et majestueuse capitale nationale qui parfois pensait n’avoir pas des problèmes de gangs de rue ni des réseaux de prostitution que souffre la grande salle ville de Montréal, a été secoué par une série d’arrêts par leur service de police. Il y avait des arrêts avant et après ces descentes-là, mais ils n’ont pas attiré l’attention médiatique intense que les raids et les 20 arrestations du 17 décembre ont entraînée.

Les arrestations ont créé une onde de choc médiatique. Parmi les accusés, Robert Gillet, animateur populaire à la radio. Il sera condamné pour avoir acheté les services d’une prostituée d’âge mineur. C’est effectivement la fin de sa carrière derrière le micro.  

Les prostituées identifiées par la police, les vraies victimes de cette affaire, ont été tranquillement prises et mises sous protection la veille de ces arrestations. C’était le fruit de quelques mois d’une vaste opération par plusieurs forces de police sous la rubrique d’Opération Scorpion. 

Cette opération est le sujet d’un livre par la criminologue et ancienne députée fédérale Maria Mourani, et l’enquêteur en chef de l’opération, Roger Ferland. Le livre est divisé en deux – dans la première deux-tiers, Ferland nous décrit l’opération; dans la dernière un-tiers, Mourani décrit l’étendue du problème de la prostitution juvénile.  

La pointe de l’iceberg

Après trois ans de procédures en cour criminelle, 41 individus sur 43 accusés ont été condamnés suite à l’opération.  

Pourtant, selon Ferland, ce « n’en est que la pointe de l’iceberg. » La prostitution dans les grandes villes du Canada est contrôlée par le crime organisé, à savoir les Hells Angels, par l’intermédiaire des gangs de rue. Les jeunes filles sont aussi employées comme danseuses dans des bars contrôlés par le crime organisé. Mais selon Mourani, depuis 2002 « peu d’enquêtes se sont attaquées aux réseaux de prostitution juvénile de Québec. » 

Selon Mourani, les hommes condamnés pour avoir eu des relations sexuelles avec des mineurs ont réussi à s’en sortir avec des « sentences dérisoires », et leur influence et leur capital économique n’en ont pas souffert, à l’exception de Robert Gillet. 

Ferland nous explique à quel point les preuves et la corroboration sont nécessaires pour une condamnation pénale. Donc, la section écrite par Ferland, est très méticuleusement faite – on constate comment une force de police est une énorme bureaucratie. Nous sommes guidés au quotidien dans le montage et l’exécution de cette vaste opération, avec un nombre ahurissant de noms – des policiers, des clients, des proxénètes, et des noms (d’emprunt) de prostituées répertoriés. 

Il écrit des ressources qu’il faut déployer pour une telle opération : filature, écoute électronique, agents doubles, surveillance physique et par caméra…

Ce n’est pas un livre facile à lire, ni du point de vue de sa complexité ni sur le plan émotionnel, car la prostitution juvénile fait beaucoup de dégâts humains. Plus de 200 victimes ont été détectées par le projet Scorpion. Parmi ceux et celles qui ont livré des déclarations, l’âge moyen d’entrée dans la prostitution était de 15 ans. 

Une jeune fille violée par des membres de gangs de rue par un gang bang est marquée à vie. Selon le livre : « L’industrie de sexe est riche, puissante, violente et elle a su s’infiltrer dans les différentes sphères de notre société, mais aussi dans les esprits. Le client est roi et l’enfant n’est qu’une marchandise pour satisfaire sa perversion. »

Un monde glamour?  

Dans la deuxième partie du livre, Mourani explique comment des filles adolescentes facilement impressionnables sont attirées dans (ce qu’elles pensent être)  « le monde glamour de la vente de leur corps » à travers une combinaison écœurante de séduction et de violence. 

Le player, elle nous dit, « oscille constamment entre la séduction et la violence. Il continue à jouer son rôle jusqu’à ce que la victime comprenne qu’elle n’est qu’un pion, une marchandise sur son échiquier. » Il doit savoir séduire, et sait donner aux filles « l’attention qu’elles recherchent désespérément. »

C’est souvent des citoyens « respectables » qui mènent une double vie en achetant des services sexuels des mineurs. Pour s’assurer des condamnations et vraiment établir un lien de confiance avec les victimes, la police a besoin du personnel, qui coûte de l’argent.  Ainsi que la volonté politique pour effectuer une telle opération. 

Le livre nous avertit de « la banalisation de la prostitution » en utilisant des termes comme « travaille du sexe instaure une normalisation dans la pensée des jeunes. Après tout, ce n’est qu’un travail! D’ailleurs, c’est l’argument allègrement utilisé par les proxénètes pour désensibiliser leurs cibles… Le mot pimp est également repris et valorisé dans plusieurs vidéoclips de rappeurs et totalement détourné de son sens réel par des émissions de télévision telles que Pimp ton char, ou encore le Pimp de la saucisse. » 

Dans un rapport datant de 2013, le Service du renseignement criminel du Québec (SRCQ) rapportait plus de 2 600 000 transactions liées à la prostitution et plus de 1 500 proxénètes actifs au Québec. Ce sont des chiffres que le SRCQ estimait « très conservateurs » ! 

Est-ce le fait qu’il n’y avait pas une telle opération comme le projet Scorpion à Québec ou au Québec depuis 2002 devrait nous inquiéter? Comme le livre nous rappelle qu’Einstein disait, « Le monde ne sera pas détruit par ceux qui font le mal, mais par ceux qui regardent sans rien faire. »


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