Portrait : Lazylegz – Luca Patuelli
Par Équipe Reflet de Société | Dossier Culture, Lazylegz
La Semaine québécoise des personnes handicapées est une période de mobilisation visant à souligner les contributions et à sensibiliser aux défis des personnes en situation de handicap au Québec. Cette année, l’un des visages les plus remarqués est celui de Luca « Lazylegz » Patuelli, convaincu que « nos différences peuvent devenir nos plus grandes forces ».
Né en 1984 à Montréal avec une arthrogrypose, un trouble musculaire et articulaire rare affectant ses épaules, ses jambes et ses pieds, Luca a subi pas moins de 16 interventions dès son plus jeune âge.
Malgré ces épreuves, il ne s’est jamais laissé abattre, et la rencontre du breakdance à l’âge de 15 ans lui sauvera la vie… électrochoc créatif quand tu nous tiens. Ses béquilles deviennent alors des prolongements de ses bras, et son corps un terrain d’exploration.
« Dans le hip-hop, tout le monde veut être différent, se démarquer comme il peut. Et moi, mon handicap me permet de le faire. »
Dépasser les limites par le mouvement
En 2007, Luca fonde à Montréal le crew ILL-Abilities, un collectif réunissant aujourd’hui huit danseurs aux « différentes aptitudes » venus de divers pays (Canada, États-Unis, Pays-Bas, Chili, Brésil, France, Corée du Sud…).
Le nom est un clin d’œil au langage hip-hop : si ill signifie littéralement « malade », dans leur jargon, c’est synonyme d’énergisant, d’exceptionnel. En d’autres termes, l’idée est de transformer l’invalidité en source de beauté, d’audace et de résilience.
Leur style ? Une fusion de breakdance, de performance théâtrale, de discours interactif, où le groupe, tout en dansant, interpelle le public avec le mantra :
« Pas d’Excuses, Pas de Limites »
Ce message de pouvoir se conjugue avec des ateliers inclusifs dans des écoles, hôpitaux, centres jeunesse et maisons de la culture. L’approche ? Offrir à chacun la possibilité « d’apprendre à sa façon » et « d’explorer son potentiel ».
Le feu à Maisonneuve
Le 5 juin dernier, Luca « Lazylegz » Patuelli, avec tous ses compères, a enflammé la scène de la Maison de la culture Maisonneuve à l’occasion de la Semaine québécoise des personnes handicapées.
À travers ses mouvements, son énergie contagieuse et son message sans détour, il a rappelé ce qui fait sa force : transformer les différences en moteurs de créativité. Sur scène, il n’est plus un danseur en béquilles. Il est un vortex. Un catalyseur de regards, de fiertés, de possibles.
Il incarne ce qu’il affirme avec tant d’ardeur : « Pas d’Excuses, Pas de Limites. »
Parler avec les gestes et les mots
Luca n’est pas seulement un danseur : il est devenu conférencier international, animateur bilingue et hôte charismatique. Pour le spectacle Pas d’Excuses, Pas de Limites, il se présente au départ en ces termes :
« Je m’appelle Lazylegz, je suis le fondateur de la troupe ILL-Abilities et je serai aujourd’hui votre maître de cérémonie. Avant de commencer, je tiens à remercier chaleureusement toute l’équipe. Merci à tous d’être venus. Ces trois dernières années, les artistes ont été touchés par la pandémie… Mais aujourd’hui, danser avec vous est le cadeau le plus précieux. »
Lazylegz et les Jeux
La portée d’ILL-Abilities dépasse les frontières du spectacle hip hop : en août 2024, le Montréalais Luca « Lazylegz » Patuelli, figure emblématique du groupe, a marqué les esprits lors de la cérémonie d’ouverture des Jeux paralympiques et un prestation aux Jeux olympiques de Paris.
Premier canadien invité à y participer, il a dansé avec les meilleurs b-boys, avec et sans handicap, dans un spectacle salué pour l’énergie partagée. Lazylegz était également très ému d’être véritablement inclus comme artiste et non comme invité symbolique.
Sur cette même scène, la présence d’artistes divers s’est intégrée au spectacle, au point que « cela ne se voyait presque plus », témoignant d’une inclusion réussie là où celle-ci est souvent absente.
En un geste, ILL-Abilities a rappelé que la danse, et par extension toute forme d’art, demeure l’un des vecteurs les plus puissants d’intégration, de visibilité et de reconnaissance, à l’échelle mondiale.
La cause transmise
La passion de Luca va bien au-delà de son chemin personnel. Sa fille, Luna, est également née avec une arthrogrypose. Sa première scène ? Un récital spontané, un moment de grâce et de fierté dont lui et sa conjointe parlent avec émotion :
« Ma femme et moi, on a tellement pleuré de fierté… Je suis sûr qu’elle va faire son chemin : elle a une grande force en elle… et la tête encore plus dure que moi. »
Mais très vite, Luca réalise que le monde de l’enfance regorge de récits trop lisses avec des héros sans faille dont la différence est souvent caricaturée ou « guérie ».
Dans les contes traditionnels comme dans les grands récits de Walt Disney, le handicap est soit absent, soit traité comme un obstacle à surmonter, voire un châtiment.
Alors ce qu’il veut offrir à ses deux filles — et à tous les enfants qui lui ressemblent — c’est un personnage qui vit avec sa différence sans en avoir honte et qui ose rêver sans que sa condition soit effacée et/ou dramatisée.
En 2025, Lazylegz publie Funky : Le canard qui rêve de danser (Éditions TNT), un livre jeunesse qui raconte l’histoire d’un petit canard né avec des membres plus courts. Funky ne rentre pas dans le rang, ne marche pas droit, ne danse pas comme les autres — mais il danse tout de même, à sa manière. Et cette manière-là devient un langage.
Ce livre est un geste fort : à travers cette fable illustrée, Luca crée un espace où l’enfant en situation de handicap peut se reconnaître sans pitié, sans honte, sans exceptionnalisme, et où les autres enfants peuvent apprendre à regarder autrement.
Loin du rêve aseptisé des studios, Funky danse malgré, et avec, sa différence. Il affirme qu’on peut avoir des limites physiques, mais qu’on est toujours capable d’inventer son propre rythme.
Plus qu’un simple livre pour enfants, Funky est un acte de narration politique et poétique à hauteur d’enfant. Il raconte le droit au rêve, au mouvement et à l’imagination, même et surtout quand le corps ne suit pas les normes.
Pour Luca, c’est un cadeau à ses filles, mais aussi une porte ouverte pour d’autres familles, d’autres enfants, qui attendent encore de se voir dans les pages d’un livre.
Porte-parole
Depuis quatre ans, Luca est lié à la Semaine québécoise des personnes handicapées, d’abord en tant qu’ambassadeur, puis en tant que co-porte parole, aux côtés de Rosalie Taillefer-Simard. Il prononce un engagement profond à l’égard de cette édition :
« La célébration est importante, mais la célébration de l’humanité en général est quelque chose que l’on doit faire tous les jours. »
Par ailleurs, il y a 10 ans, soit en 2015, Luca recevait la Médaille du service méritoire du Gouverneur général du Canada, pour son programme Projet RAD, qui intègre des jeunes avec handicap dans des cours de danse urbaine accessibles. Aujourd’hui, sa démarche fédère un grand public : plus d’un million de spectateurs dans plus de 30 pays ont assisté à ses spectacles, en anglais, français, espagnol ou italien.
Et toujours ce cri, dans ses chorégraphies, dans ses mots :
« Vous avez le pouvoir de changer le monde avec ce que vous créez. »
Et ce clin d’œil au public :
« Quand on aime ce qu’on voit, on fait du bruit. Quand on n’aime pas ce qu’on voit, on fait du bruit ! »
Pas d’Excuses, Pas de Limites les 5 et 6 juin 2025 à la Maison de la culture Maisonneuve était une invitation pour le public à repousser leurs propres frontières, individuellement et collectivement.
Puis, en quittant la scène, Luca formule un rêve : effacer le mot handicap au profit de ILL-Abilities, transformer l’invalidité en source de beauté, d’audace et de résilience finalement.
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