Collaboration spéciale Patrick Trudeau, Le reflet du lac. Valérie R. Carbonneau et Raymond Viger Reflet de Société. | Dossier Politique
Que ce soit pour traverser de cruelles épreuves, dénoncer des injustices ou démontrer sa fierté d’être québécoise, Louise Gagné a toujours gardé la tête haute. Et c’est encore le cas aujourd’hui alors qu’elle continue de se démener pour des causes qui lui tiennent à cœur et qui rendent la société meilleure à ses yeux.
Adolescente, elle quitte le Québec pendant une année afin de participer à la fondation d’une première université francophone au Rwanda. Le projet est mené par Georges-Henri Lévesque, le père de la Révolution tranquille, un grand sociologue du Québec.
« J’étais déjà politisée, mais j’ai découvert ce que voulait dire être colonisé. En observant comment la Belgique traitait le Rwanda, je me suis rendu compte de ce que vivait le Québec avec les autres provinces. En revenant au pays, je suis devenue une vraie et fière Québécoise », dit-elle avec conviction.
Ses combats
La mise sur pied de l’Union générale des étudiants (UGEQ), les manifestations pour les prêts et bourses ou contre la guerre au Vietnam… « On expérimentait tout ça, ce n’était pas théorique ! L’implication d’une personne dans la société s’inscrit dans l’histoire. Les différences entre les classes sociales étaient plus marquées à cette époque », poursuit-elle.
Pionnière parmi une centaine de jeunes membres de Bureau de concertation Jeunesse, elle a ainsi participé à l’élaboration d’un programme jeunesse avant la loi de 1975 qui allait reconnaître, pour la première fois, l’existence des droits des mineurs. À la même époque, elle était très impliquée au pavillon Jeunesse d’Expo 67. « J’étais consciente de faire partie de ce phénomène nouveau de la participation des jeunes à la société… »
Sociologue de formation, Louise Gagné avait auparavant tenté sa chance en sciences mais en vain. « On était en 1963 », se souvient-elle comme si c’était hier. On lui a refusé l’accès au département de mathématiques « parce qu’elle était une fille ». Stupéfaite, elle a demandé au doyen de la faculté et au directeur du département : « Que dois-je faire ? » « Habille-toi comme un garçon. » lui a-t-on répondu.
Armée de cette nouvelle fibre identitaire et de cette quête de justice, il ne faut donc pas s’étonner de retrouver Louise Gagné comme militante du « Oui » lors du référendum de 1980, ou encore de la voir manifester contre la guerre du Vietnam en 1969, lors d’un séjour en Californie.
« Je travaillais dans le bureau d’un grand chercheur de l’Université Stanford et on m’avait offert une bourse inconditionnelle pour étudier dans le domaine de mon choix. Mais quand j’ai appris que cette bourse était financée par la Défense nationale américaine, je l’ai refusée. Je me voyais très mal accepter cette offre alors que, parallèlement, je descendais dans la rue pour dénoncer le conflit au Vietnam », plaide-t-elle.
Envers et contre tous
Ramant régulièrement à contre-courant, Louise Gagné sera aussi l’une des premières à vouloir réhabiliter Paul Rose, l’un des acteurs-clés de la funeste Crise d’octobre.
Mme Gagné organise une visite sous surveillance de l’ex-felquiste dans une école primaire fréquentée par son fils. « Mon mari, un professeur universitaire, avait eu la chance d’enseigner à Paul Rose en prison, et il m’avait vanté ses qualités. Je me suis dit que cette rencontre serait assurément intéressante pour les enfants. C’était sa première sortie officielle et il y en a eu d’autres par la suite », se réjouit-elle.
En 1979, Louise Gagné se voit offrir un poste d’agente aux réfugiés chez Immigration Québec. Pendant plus de 30 ans, elle s’est surtout impliqué à la défense des droits humains. Notamment auprès des jeunes, des femmes et des réfugiés. Elle a travaillé avec Jacques Couture, important ministre de l’Immigration après avoir été animateur social dans le quartier de Saint-Henri (Montréal) et à Madagascar. « La période des années 1980 et 1990 était très favorable aux réfugiés. Chacun d’eux devait passer par mon bureau, où j’évaluais sa situation. J’ai analysé plus de 2000 dossiers. »
« Dans un ministère, il y a des postes que je n’ai jamais obtenus puisqu’on m’identifiait au communautaire », précise-t-elle. Sa fierté est d’avoir toujours défendu l’intérêt de la population.
« Je travaille pour le monde et le meilleur endroit pour le faire, c’est dans le communautaire… » Le message qu’elle veut léguer : « continuer à faire reconnaître l’expertise de la société civile pour un meilleur équilibre entre les jeunes et les moins jeunes, entre les experts et ceux qui vivent les problèmes. »
Toujours soucieuse de faciliter la vie aux citoyens de l’étranger ou de faire connaître les autres cultures, Mme Gagné s’implique dans de nombreux organismes, dont Actions interculturelles à Sherbrooke, préside le festival de cinéma Vues d’Afrique à Montréal, le Journal de la Rue, le magazine sur les thématiques sociales Reflet de Société, cofonde la Société d’histoire du Canton d’Orford, dirigeante de la Société d’histoire de Magog, bénévole pour Orford Musique et le Comité culturel Saint-Patrice.
Son engagement
Louise a participé tout au long de ses années de militance à la création d’une trentaine d’organismes communautaires dont certains ont même rayonné à l’international.
« Je suis favorable à la conservation du patrimoine religieux, mais il ne faut pas que ça serve uniquement pour les messes. Une église comme Saint-Patrice peut accueillir 900 personnes et c’est un amphithéâtre magnifique pour plusieurs types de spectacles », assure-t-elle.
Selon elle, chaque peuple mérite le respect, mais chacun se doit aussi de respecter sa patrie d’adoption. « Je serai à tout jamais présente pour protéger notre patrimoine et la langue française au Québec. Quand on veut faire valoir nos droits et conserver nos acquis, il suffit simplement d’être ferme et de le dire avec la tête haute », prévient cette militante, en effleurant la délicate question des accommodements raisonnables.
Garder la tête haute, c’est sans doute aussi ce qui lui a permis de poursuivre des études supérieures, même si elle venait d’un milieu relativement modeste. « Quand j’ai fait mon brevet à Sherbrooke, j’étais entourée de filles de médecins, d’hommes d’affaires… alors que moi, j’étais une fille de cultivateur. Je me faisais regarder de haut, mais je n’ai jamais eu honte du travail de mon père », insiste-t-elle.
Ce qu’ils en pensent
Louise Harel

Quand j’étais ministre, Louise était secrétaire au ministère de l’Immigration. Elle s’est impliqué dans plusieurs crises comme celle qu’a traversée l’Éthiopie. Dans une campagne de financement, en 3 semaines nous avions levé 4,5 millions. Le gouvernement en a rajouté autant. Louise s’est occupé des organismes sur le terrain pour répartir équitablement cet argent.
Louise est une femme généreuse, autant personnel que professionnel. Une femme résiliente qui a besoin d’avoir le sentiment d’être utile. Je l’aime beaucoup. Je la trouve inspirante.
L’injustice l’indigne. Elle est d’une jeunesse éternelle, militante dans l’âme.
François Rebello

Louise donne tellement aux autres. Elle est dédiée aux autres. Elle est très ouverte sur le monde.
Travailleuse sociale, elle s’est impliqué dans le Droit des enfants, elle a créé la DPJ. Elle était disponible à toute heure du jour ou de la nuit. J’ai commencé à la suivre et à l’aider dès l’âge de 5 ou 6 ans.
Elle s’est impliquée avec le ministre Couture dans les dossiers d’Immigration. J’avais 9 ans quand, sous son leadership, je lui ai donné un coup de main pour accueillir des réfugiés et les aider à s’installer.
Ma première campagne électorale je la faisais pour le Bloc Québec dans Côte-des-Neiges. Une circonscription qui n’était pas naturellement acquise pour le Bloc. Quand j’allais voir les organismes reliés à l’aide aux immigrants j’étais bien reçu. Ils me disaient : « Ce n’est pas pour toi ou pour ton parti. C’est à cause de ta mère qu’on te soutient. »
Pour Louise, la langue française est très importante et il n’y a aucun compromis. Au secondaire, j’étais grand et il m’était difficile de trouver des chaussures à ma taille. Quand j’en ai trouvé, j’ai avisé ma mère pour qu’elle aille les payer. En arrivant au magasin, elle ne réussit pas à se faire servir en français. Elle demande à parler au patron. En parlant fort pour que tout le monde l’entende elle s’est exclamé et en mettant les souliers dans les mains du propriétaire : « Je reviendrais quand tu parleras français et que nous pourrons être servi en français.
Même si elle est bilingue, avec les immigrants elle parlait en français pour les aider à apprendre le français.
Si tout le monde avait le courage de leurs convictions comme elle, cela ferait une grande différence pour notre société.
Ma mère a été une grande source d’inspiration autant pour moi que pour beaucoup de gens.
Elle a côtoyé François Legault quand il était au PQ. En réponse à mes échanges avec lui, il me répondait « T’é bîn le fils de ta mère ! »
Christine Burtin Lauthe

Louise c’est la continuité. C’est une active en fil continu. Ça ne s’arrête jamais.
C’est une femme tournée vers l’extérieur. Vers les autres et tous les autres. De façon très, très active.
Voyageuse, ce sont les rencontres qui l’intéressent. C’est le contact qu’elle va chercher, susciter, renouveler. Il faut parfois la freiner.
Tôt le matin, dès 4h, elle lit les journaux en découpant les articles qu’elle destine aux uns et aux autres.
Elle aime rire et rit beaucoup des histoires qu’on lui raconte ou de situations cocasses.
Dans son sac à main, un petit carnet et un stylo pour noter une adresse, prendre des notes dans une conférence.
C’est la générosité sans limite. Nous sommes nombreux à en avoir bénéficié. La liste des personnes et des situations serait très longue.
Croiser Louise sur sa route et dans sa vie c’est comme tomber sur un filon d’or qui ne tari jamais et qui est accessible à chacun.
Christine Fréchette, Ministre de l’Économie et de l’Énergie

J’ai connu Louise Gagné quand j’étais responsable du mouvement étudiant à l’université. Une femme hyper active, une militante née. Toujours volontaire pour contribuer. Aider les gens, faire des mises en contacts, ramasser et livrer des marchandises pour aider des familles…
J’étais convaincu qu’avec le temps elle allait ralentir. Mais elle n’a toujours pas trouver la pédale de frein!
Elle prend fait et cause pour le français. Elle n’accepte pas d’être incapable de se faire servir en français au Québec. Elle ne se gênera pas pour faire des remontrances aux commerces qui ne respecte pas cette sensibilité de Louise.
Elle aurait fait une bonne avocate. Mme Gagné est sensible à toutes les injustices, humaines et sociales.
Elle est une activiste, une mentor, une leader pour tous, et ce, autant dans le travail que dans sa vie personnelle.
Une joie de vivre qui dépasse le commun des mortels. Elle adore prendre des nouvelles. Généreuse sans jamais calculer. Elle fait tout de bonté de cœur.
Danielle Simard

Louise a été un fer de l’ance pour l’organisme. Un duo du tonnerre avec Jean-Claude Leclerc. Deux mines d’or d’informations et de contacts.
Toujours à l’affut d’informations qu’elle transmet généreusement autant aux citoyens qu’aux organismes communautaires.
Une femme d’exception comme il s’en fait peu.
Raymond Viger

Pourquoi est-il important de reconnaître une personne qui a fait plus de 60 ans de bénévolat au Québec?
Nos organismes d’intervention auprès de jeunes marginalisés peuvent en expliquer une partie. J’ai dénoncé des abus envers les jeunes et des fraudes. Cela m’a valu d’être expulsé de deux tables de concertation jeunesse et de subir plusieurs menaces, certaines très violentes. Prendre parti pour des jeunes marginalisés peut nous marginaliser tout autant.
En me faisant expulser, l’organisme a perdu plusieurs bénévoles. Ceux qui cherchent le consensus à tout prix. Ceux qui pensent que la majorité doit avoir raison. Mme Gagné a regardé les faits et les événements. Elle a trouvé la situation injuste. Elle s’est présenté à la table de concertation jeunesse pour défendre notre position et faire comprendre que ce n’est pas parce que nous travaillons tous dans le communautaire qu’il faille accepter des injustices et des manquements.
Les innovations que nous avons pu faire se sont souvent faites en opposition avec les façons de faire conventionnels. Parce que le changement vient du mot crise. Et quand je propose des changements, la première réaction est de créer une crise et une panique autour de moi.
Sans des personnes solides comme Louise Gagné qui ont donné bénévolement de leur temps et de leur fougue à des organismes tels que les nôtres, je n’aurais jamais eu l’opportunité d’offrir mes 30 années de bénévolat aux jeunes marginalisés.
Dans la rue, plusieurs me connaissent et me reconnaissent pour le travail que j’ai fait. Mais peu connaissent ce que des gens telles que Louise ont fait pour soutenir nos projets. C’est pourquoi il faut les nommer et les reconnaître.
Elles font parties d’un Québec plus solidaire, plus juste et plus équitable.
Je souhaite à tous les organismes communautaires d’avoir une personne telle que Louise Gagné pour accomplir leur mission.
Merci Louise pour ta présence et ton soutien. C’est un privilège et un grand honneur de t’avoir dans l’équipe depuis maintenant 30 ans.
