Par Colin McGregor | Dossier Immigration
La danseuse et artiste turque Eylül Bozok a visité pour la première fois le Québec en 2019. Elle est follement tombée amoureuse de Montréal, tellement qu’elle a décidé de quitter sa carrière d’urbanisme et sa vie à Istanbul pour s’installer ici. Elle s’est concentrée sur la danse contemporaine en allant l’étudier à l’université de Concordia.
C’est au café Sfouf, dans le Village de Montréal que j’ai rencontré Eylül afin qu’elle me parle de son expérience. Ce qui l’a surtout marquée de sa ville d’accueil, est le nombre d’artistes présents ici, mais aussi que les gens sont très amicaux.
Suite à son baccalauréat en danse contemporaine, elle est devenue une artiste de performance. Elle travaille également comme cuisinière à l’Usine Grecque dans le Village. Elle dévoile que les nourritures grecque et turque se ressemblent beaucoup, ce qui ne l’a pas trop défamiliarisée de ses origines. En travaillant au restaurant, elle a pu tisser une belle relation avec ses collègues de travail. « Ils sont très solidaires. Ils viennent me voir quand je danse. »
Une de ses grandes difficultés, comme beaucoup d’immigrants, a été l’apprentissage du français. Ayant une date limite à son permis, elle a dû apprendre rapidement la langue afin de passer les examens gouvernementaux, qu’elle a réussis, pour lui permettre de rester dans la province. Elle s’est sentie pressée dans le processus. Elle adore la langue, mais elle aurait aimé l’apprendre sans pression, à sa vitesse.
À son arrivée à Montréal, « Les gens étaient très sympathiques. Mais il y avait beaucoup de documents à remplir. Ça a été une période très difficile de ma vie. Je n’avais pas de famille ici, j’étais seule. Mes cours étaient en anglais, mais ce n’est toujours pas ma langue maternelle. Devoir travailler avec le français était un peu stressant. » Ces nouveaux obstacles l’ont souvent amenée à remettre en question sa nouvelle vie. En Turquie, elle ne remettait rien en question. Elle suivait simplement le courant de la vie.
Malgré que sa vie était belle à Istanbul, Eylül a appris à apprécier les défis de sa nouvelle vie. « Je n’ai pas eu beaucoup de problèmes dans ma vie. Mais j’aime le défi d’être au Québec et d’apprendre le français. Je me lie d’amitié avec des itinérants, c’est sympa. »
Danser de ses propres ailes
Elle a su apprendre à se libérer à travers l’art de performance. « En Turquie, j’avais un chorégraphe pour me dire quoi faire. Mais ici, j’ai appris à me chorégraphier et à créer ce que je veux exprimer. »
Quant à ses performances, « Je pense que vous devez être prêt à montrer votre côté vulnérable, à montrer des choses que tout le monde vit et que tout le monde a honte d’afficher. Mes principaux thèmes concernent les tabous sociaux et les femmes. Les expériences de la vie réelle ne sont pas vraiment esthétiques ou belles, mais il est douloureux d’être un être humain, surtout une femme. C’est pourquoi je me suis tournée vers l’art de performance. »
Ses séances de danse durent environ cinq à six heures consécutives. Souvent, elle fait ses séances en tandem avec un autre artiste. « C’est très expérimental, » elle explique. « Il s’agit d’un processus créatif. Le public peut me dire quoi faire, contrôler et manipuler tout le spectacle. L’artiste manipule leur esprit. »
« La danse contemporaine est belle, la forme, le corps. Mais maintenant, je pousse les gens à se remettre en question. Je leur apporte de l’inconfort. »
Le même inconfort qui la pousse à apprendre le français, une nouvelle langue dans un pays hivernal.
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