Biopiraterie : la situation au Québec

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Par Lucas Lelardoux Oliger | Dossier Environnement            

La biopiraterie consiste en une pratique d’appropriation illégale des savoirs traditionnels autochtones et de leurs ressources par les États, entreprises et universitaires. En l’occurrence, cette pratique se manifeste typiquement en amenant les communautés à se livrer sur leurs remèdes afin de déposer un brevet sur le principe actif. Mais ces dernières ne sont pas rémunérées ou même informées. 

De nombreux cas sont répertoriés chaque année, notamment dans les pays du Sud global (de l’hémisphère Sud). Les actions de Monsanto en Inde dans les années 2000 en sont des exemples flagrants. Mais qu’en est-il au Québec et au Canada ? Quelles sont les menaces que subissent les savoirs autochtones ? Je me suis entretenu avec Thomas Burelli, professeur du droit international de l’environnement à l’université d’Ottawa, pour obtenir des éclaircissements concernant cette problématique trop souvent ignorée.

La biopiraterie peut être perçue sur un plan légal comme moral. Le droit international s’est saisi de ces enjeux par l’intermédiaire de plusieurs traités. Toutefois, ce droit est difficilement appliqué, et même s’il y a des exceptions, les législations nationales se révèlent souvent lacunaires. C’est le cas au Canada et au Québec. 

Ce flou pousse M. Burelli à poser le constat qu’« il n’existe pas de définition communément admise et les différentes parties impliquées ne sont pas d’accord sur ce que signifie la biopiraterie. ». En effet, sans cadre officiel, ce concept reste perméable aux réflexions militantes, mais aussi à l’évolution des pratiques.

Par ailleurs, l’activiste écoféministe et altermondialiste indienne Vandana Shiva s’est érigée contre ce phénomène dans les années 1990. Elle avançait alors que la biopiraterie est « l’expression ultime de la commercialisation de la science et de la marchandisation de la nature … La vie elle-même est en train d’être colonisée ».

Abus et pillages

Les scandales de biopiraterie qui émergent dans le débat public se déroulent en majorité dans les pays en voie de développement. De nombreux cas existent en Amérique du Sud, en Afrique ou en Asie.

Toutefois, cela ne signifie pas que ces pratiques n’existent pas en Occident, d’où proviennent généralement les biopirates. 

Au Canada, des suspicions de biopiraterie ont été évoquées quant à l’exploitation des sapins baumiers, des épinettes ou encore des ombles chevaliers. Par exemple, la production par de grandes firmes de Spruce Gum, médicaments traditionnellement utilisés dans la culture dénée, démontre cette forme de détournement à des fins mercantiles. Pourtant, au niveau fédéral comme provincial, M. Burelli ne perçoit pas de « cas grave et très médiatisé à l’image de ce que l’on peut observer ailleurs ». Pourquoi ?

Ce phénomène d’abus et de pillage du vivant s’inscrit avant tout dans des « processus coloniaux qui perdurent ». C’est en cela que le cas canadien devient intéressant. M. Burelli a consacré une partie de sa carrière à combattre l’Institut de recherche pour le développement (IRD), un organisme français. Le scandale concernait les prétentions de l’IRD sur la propriété d’une molécule de la plante tropicale Quassia amara connue suite à une étude des remèdes traditionnels contre le paludisme utilisés par les populations autochtones de Guyane. 

M. Burelli conclut que les Premières Nations du Canada sont moins enclines à subir les appétits de communautés extérieures sur leurs savoirs. Elles seraient protégées « en vertu de leurs pouvoirs d’autodétermination, de gestion gouvernementale, de la possibilité d’établir leurs propres définitions » qu’elles ont obtenues il y a quelques années, après des centenaires de politiques de dépossession.

En effet, exercer le droit de décider, c’est obtenir un rapport de force. Cela permet de briser les potentielles fragilités rencontrées face à des intérêts publics comme privés souvent puissants. L’organisation politique canadienne influerait sur la possibilité des Nations autochtones de se donner des règles, mais aussi de négocier des contrats. Ce n’est pas le cas dans bien des pays, comme en France par exemple.

Les universitaires du Québec sont par ailleurs considérés comme innovants dans l’usage de méthodes éthiques dans ce domaine. En témoigne l’accord conclu au début des années 2000 entre une équipe de chercheurs et la communauté crie de la Baie James sur la recherche antidiabétique. Celui-ci est souvent présenté comme un « précédent ». 

Bien que l’accord soit aujourd’hui en berne, il a permis de mettre en place des procédés clefs dans la lutte contre les biopirates. On parle de concertation avec les autochtones et l’accès et le partage des avantages entre les parties. Dans ce cadre, les autochtones sont considérés comme des partenaires, plus que simplement des mannes d’information dont les entreprises, chercheurs ou États se serviraient sans condition.

Nouvelle formule pour ancien vice ?

La recherche sur le terrain de ressources biologiques par des entreprises, « c’est terminé » avance M. Burelli. Il ajoute que « Pfizer en Amazonie, c’était il y a 30, 40 ans ».  Actuellement, nombreux sont ceux qui s’inquiètent d’une potentielle nouvelle forme de biopiraterie. Elle est beaucoup plus mondialisée et insaisissable : l’information de séquençage numérique (ISN). 

Ces bases de données de ressources biologiques sont en accès libre et gratuit, et « le droit y est à la remorque » déplore M. Burelli. Aussi, il serait possible de s’approprier bien plus facilement et rapidement des connaissances pourtant autochtones. Plus besoin de se rendre sur place et pas nécessaire de se préoccuper de reconnaître des droits de propriété intellectuelle.

L’ISN, dont le bien-fondé dépend des usages qu’on en fait, est une méthode qui représente le futur de la recherche. La majorité des chercheurs l’utilisent déjà quotidiennement. Un usage abusif de ces données, dont certaines pourraient déjà être issues de biopiraterie, est bien plus complexe à détecter. 

À l’heure actuelle, les communautés autochtones qui seraient à l’origine de données ne sont pas rémunérées ni consultées pour l’utilisation des ISN. Ce sujet était par ailleurs au cœur des négociations de la COP 15 à Montréal, qui n’a pas abouti à des décisions concrètes. 

Il y a « beaucoup plus d’argent à faire » avec les ISN qu’avec la recherche sur le terrain, avance M. Burelli, ce qui explique que ça depuis quelques années « qu’il est de plus en plus rare d’identifier de nouveau cas » de biopiraterie traditionnelle.

Avec ces constats, faut-il être optimiste quant aux droits accordés aux connaissances autochtones au Québec ? « Oui », répond M. Burelli. « on aura de moins en moins de cas parce que les gens, et spécialement les jeunes générations sont très informés sur les questions d’éthique et de respect de leurs droits ».

Néanmoins, il reste nécessaire de rester conscient des nouveaux enjeux de la biopiraterie, sans quoi ces mêmes intérêts particuliers opéreront dans l’ombre. Cachés derrière des données numériques, il est bien plus aisé de ne pas rendre de compte aux personnes concernées et aux opinions publiques.

Qu’est-ce qu’une COP ?

Les Conférences des Parties (COP) sont des réunions entre États concernant des Conventions qu’elles ont signées. Généralement, ce terme est utilisé pour désigner les rencontres de leaders sur le climat depuis les années 1990. Il existe trois types de COP climatiques. La première, la plus célèbre, réunit tous les ans les signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques. La seconde réunit ces mêmes acteurs tous les deux ans pour les questions liées à la lutte contre la désertification. Enfin, la troisième fait de même tous les deux ans pour les sujets liés à la biodiversité. C’est cette dernière COP qui s’est déroulée à Montréal en 2022.

Dans tous les cas, le but des COP se veut d’être un lieu de négociation, de discussion et de multilatéralisme afin de combattre le changement climatique et ses conséquences. Le Protocole de Kyoto et l’Accord de Paris sont issus des COP, par exemple. Toutefois, de nombreux militants écologistes dénoncent un manque d’ambition et d’actions concrètes depuis la création de ces réunions.


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