Un texte de Rebecca Congo-Sienne | Dossier Graffiti
Je suis allée à la rencontre de Malin, un graffiteur professionnel dans la trentaine. Il anime des ateliers d’initiation au graffiti au Café Graffiti depuis 2014. Son nom d’artiste se définit comme la finesse d’un artiste rusé.
Il a grandi à Sainte-Sophie, dans les Laurentides. C’est en tant qu’employé dans une auberge de jeunesse qu’il découvre le graffiti, par l’entremise d’un de ses collègues graffiteur. Il réalise ses premiers graffitis sous des ponts, en été 2005. Depuis ce jour, il n’a jamais cessé d’investir son art. Encouragé par sa famille, il effectue ses premiers pas dans le monde du graffiti accompagné de ses amis, également graffiteurs.
Pendant les neuf premières années de sa carrière, il allait dans des lieux reculés et abandonnés pour s’adonner au graffiti. Il profitait de venir en ville avec ses amis pour propager l’expression de son art.
Ma rencontre avec Malin m’a permis de découvrir un univers complexe. Loin de n’être seulement qu’une pratique illégale, le graffiti est un art de vivre, un style de vie qu’on adopte presque automatiquement en souhaitant être graffiteur.
« C’est quand ça devient viscéral, de peindre, et qu’on est reconnu par ses pairs qu’on peut se sentir graffiteur », Malin.
C’est quoi être graffiteur ?
Pour devenir un graffiteur reconnu par ses pairs, il faut respecter une tradition, tel un rituel de passage. Tout commence par l’humilité. Il est nécessaire de savoir reconnaître la hiérarchie préexistante lorsque l’on entre dans cet univers. « Maintenant, avec les réseaux sociaux, les jeunes n’ont plus le respect des anciens. Moi quand j’étais jeune, j’admirais ces graffiteurs-là. Quand je voyais un beau graff, je le respectais. Je ne touchais pas, je prenais mon petit coin à côté ».
Je me suis demandé comment gagner ce respect ? Comment faire si l’on n’est pas au bon endroit au bon moment ? Faut-il, dans ce cas, recouvrir les murs par son nom afin d’être vu ?
L’identité du graffiteur
Comment conserver son authenticité lorsque nous devons convaincre nos aînés de notre talent ? Un jeune graffiteur doit-il s’adapter aux attentes des anciens ?
Quand on commence le graff, Malin explique qu’il est possible de déjà connaître son style et son identité, comme il est possible de ne pas se connaître et de se découvrir à travers la pratique.
Quant à son inspiration : « Le travail des autres m’inspire, ou quand je voyage. La nature m’inspire aussi beaucoup, mais plus pour mon travail de murale ».
Sa curiosité de la vie constitue une vraie source d’inspiration, c’est ainsi qu’il fait perdurer son art.
« Y’a un désir d’exister à travers ça, c’est vraiment identitaire. C’est une belle forme d’expression », me dit-il. Puisqu’il lui est aussi nécessaire de développer son savoir, on peut l’assimiler à un innovateur toujours en quête de son identité.
Il s’agit aussi de trouver et comprendre l’équilibre entre ses deux identités, de graffiteur et d’artiste muraliste. Dans ce contexte, la tradition devient un facteur non négligeable. « Quand y’a pas le système qui intervient, c’est juste entre le propriétaire et l’artiste, […] C’est aussi ça le graffiti, c’est le côté communautaire, de partage. C’est un décor, une ambiance de rue.”
En outre, cette pratique n’est pas toujours illégale, dépendamment du cadre. Le graffiti doit tout de même respecter une certaine « anarchie » dans son exécution, en effet « ça peut être dans la façon de le faire” quand ce n’est pas relatif aux lois.
Respecter pour s’intégrer
En s’inscrivant dans le mouvement street art, les novices doivent réussir à s’intégrer. Il n’est donc pas question de savoir mieux graffer que les autres. La technique s’améliore et s’apprend avec l’expérience et la découverte de ses identités.
Malin par exemple, a appris à aimer « les esthétiques plus naturelles et les compositions qui rejoindraient un peu plus le grand public ».
La perspective de sa pratique se renouvelle au fils des ans : « Y’a une évolution qui s’est faite ou plutôt une transition, un changement ». Innovateur dans l’âme, Malin reconnaît que sa perspective artistique a changé avec le temps : « Y’a des graffs que j’ai fait il y a huit ans que je trouve encore super beaux mais ce sont des esthétiques que je n’ai plus nécessairement envie de faire ».
Il comprend que le lettrage est « un peu moins compris » et que c’est « un milieu pour les initiés ».
Malin a su conjuguer ses envies personnelles et ses besoins professionnels. Un artiste complet à la technique et une personnalité qui donne le ton de ses œuvres : un artiste sans identité peut être assimilé à un bâtiment sans fondation.
Un graffiteur, c’est donc un street artist qui comprend, respecte et adopte la tradition de la rue comme celle du street art.
Illustration : Charlie Piotelat
Autres textes sur le Graffiti
- Le graffiti et la tuberculose
- Ella & Pitr : des géants parmi nous
- Muraille « Samouraï d’automne » ici chez nous