Par Colin McGregor | Dossier Culture
Pour certains, une ancienne bâtisse n’est pas qu’un amas de vieilles pierres. Pour d’autres des souvenirs, du patrimoine, de l’histoire, des vestiges des vies des générations révolues, un lien entre nos familles et nous-mêmes.
L’écrivaine rimouskoise Marie-Hélène Voyer souhaite qu’on n’oublie jamais notre patrimoine bâti québécois. C’est pour défendre sa province natale contre le boulet de démolition et la laideur des nouvelles tours à condos qu’elle écrit.
Son essai L’habitude des ruines est une réponse aux promoteurs de condominiums. Une réponse aux politiciens qui pensent que nos vieux bâtiments devraient tout simplement être détruits. Un plaidoyer pour les lieux qui forment notre mémoire collective. On apprend que chaque année, environ 3 000 bâtiments anciens sont démolis au Québec.
Professeure de littérature au Cégep de Rimouski, elle a grandi sur une ferme au Bic, un petit village à quelques minutes de son collège actuel. Pas beaucoup de gratte-ciels dans ce recoin du Bas-du-Fleuve.
Elle nous ouvre généreusement les portes de son monde intérieur. C’est important pour elle de « redire la nécessité de préserver notre patrimoine bâti et notre patrimoine paysager, ces balises de notre mémoire extérieure qui irriguent notre mémoire intérieure. »
Elle nous emmène en visite au pays de son enfance, son environnement actuel. Elle évoque les sorties avec ses enfants dans des lieux qu’elle a connus durant sa propre enfance. Elle angoisse au sujet de notre patrimoine architectural que nous gaspillons. Et elle nous emmène avec elle. Elle utilise des noms, des verbes et des adjectifs comme un artiste peintre manie ses pinceaux.
Selon elle, il faut « ruser toujours mieux pour résister aux attaques des promoteurs qui ne pensent qu’à engloutir l’espace et le bien commun pour leur propre profit. »
Elle sillonne les rues de Montréal, Québec et Rimouski. Elle décrit notre rapport au territoire « décalé ».
Elle pleure au sort de sa ville natale, avec ses plusieurs bâtiments d’époque debout mais laissés à l’abandon. En particulier, au plein milieu de Rimouski, il y a « une cathédrale… entourée des grillages…. Cette cathédrale m’est chère… C’est désormais un lieu cadenassé, confisqué comme tant d’autres à notre espace collectif… une cathédrale déchue comme on en voit chaque jour dans ces journaux qui scandent l’interminable litanie des démolitions »
Selon elle, Rimouski ne soucie plus son propre centre-ville, mais elle ne manque pas un Wal-Mart et un Dollarama surplombant ses hauteurs.
Sa culture est vaste, elle a beaucoup lu. Son livre est riche de références. Elle y cite l’humoriste Peter McLeod, le cinéaste Pierre Perrault, des philosophes, des ingénieurs et le politicien montréalais Denis Coderre, entre autres personnalités. Ce dernier, « plus habitué à l’apesanteur qu’à la profondeur, » a proposé de permettre des constructions plus élevées que le mont Royal.
Une proposition qui a peu impressionné l’auteure. Vivre au-dessus du monde réel c’est de toujours vivre des expériences neuves et inédites. « De véritables paradis en vrac, » écrit-elle, habités par des « Icare aux ailes fumantes. »

« Il faut du temps, des moyens et une volonté politique pour préserver, recycler, redonner lieu à ce qui a eu lieu. Il faut un peu de vision pour saisir la valeur du passé, en dépit des coûts qu’il engendre nécessairement. »
Elle chante les louanges des rivières. Ayant grandi et vivant actuellement au bord du puissant fleuve Saint-Laurent qui est, pour elle une source constante d’inspiration. D’où son amour des cours d’eau, des ruisseaux et des lacs.
La maison en pierres de l’enfance de Dre Voyer est vendue. Ses murs abritent d’autres vies. La maison est toujours debout, témoin des générations qui y ont habité.
Elle déplore les démolitions en série. Elle vante la valeur des cabanes, « les lieux par excellence d’un retour aux sources… d’un retour salutaire à une vie authentique ».
Le livre est profond, émouvant. J’aurais cependant souhaité y trouver une appréciation de la crise des logements. Si nous ne construisons pas des logements salubres à un rythme plus rapide encore que celui d’aujourd’hui, où les gens vont-ils vivre?
Sa question fondamentale : peut-on continuer à bâtir sans détruire notre patrimoine architectural et paysager ?
Ce livre-ci, ainsi que son recueil de poésie, Mouron des champs, ont tous les deux reçu le Prix des libraires du Québec. Une double gratification qui n’avait jamais été vue dans toute l’histoire de ce prix prestigieux. Un témoignage de la façon dont les mots de poésie et de prose peuvent toucher le cœur humain.
L’habitude des ruines : Le sacre de l’oubli et de la laideur au Québec par Marie-Hélène Voyer, Lux Éditeur, 04 novembre 2021, Québec.
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