Un texte de Kathleen Couillard – Agence Science-Presse
Dossier Santé
En présence d’eczéma chez un tout-petit, on conseille parfois aux parents d’éviter certains aliments. Une approche qui n’est pas toujours efficace et qui comporte même des risques, a constaté le Détecteur de rumeurs.
L’origine de la rumeur
Plusieurs parents, et même des professionnels de la santé, croient que l’eczéma chez un enfant est une manifestation d’une allergie alimentaire. Selon ce qu’écrivait en 2010 le dermatologue américain Ki-Young Suh, les allergologues et les dermatologues ont d’ailleurs des opinions différentes sur le sujet. Les premiers prétendent que certains aliments peuvent provoquer des poussées d’eczéma. Les seconds affirment que l’eczéma causé par une allergie alimentaire est rare.
Dans une étude qui vient de paraître, un groupe de dermatologues américains conclut pour sa part que les aliments les plus souvent suspectés de causer de l’eczéma sont les œufs, le lait, les arachides et le soya.
Quel lien entre l’eczéma et les allergies alimentaires ?
Selon ces derniers chercheurs, environ un enfant sur trois qui souffre d’eczéma modéré à sévère développera des allergies alimentaires. C’est plus que chez les enfants en général, où cette proportion est de seulement 4 à 10 %. Autrement dit, les allergies alimentaires sont plus fréquentes chez les enfants qui font de l’eczéma.
Des études indiquent aussi que les bébés qui souffrent d’eczéma avant l’âge de trois mois sont plus à risque d’être allergiques à des aliments à l’âge d’un an, selon Ki-Young Suh. De plus, les enfants chez qui on détecte des anticorps contre certains allergènes alimentaires sont plus susceptibles de développer de l’eczéma tôt dans leur vie et celui-ci risque d’être plus sévère.
Cependant, ces observations ne signifient pas que ce sont les allergies alimentaires qui causent l’eczéma. En fait, il pourrait même s’agir du mécanisme inverse, selon l’étude de 2022, centrée sur l’hypersensibilité aux allergènes alimentaires chez ceux qui souffrent d’eczéma atopique (atopique signifie une prédisposition héréditaire). Lorsqu’un enfant souffre d’eczéma, la peau ne joue plus aussi bien son rôle de barrière, expliquent les quatre chercheurs. Les allergènes alimentaires peuvent ainsi pénétrer dans l’organisme et être capturés par des cellules du système immunitaire de l’épiderme, les cellules de Langerhans. Ils sont ensuite transportés jusque dans les ganglions lymphatiques pour être présentés à un autre type de cellules immunitaires, les cellules T. C’est cela qui provoquerait la sensibilisation de l’enfant, qui développerait alors une allergie.
Autrement dit, c’est après un contact cutané avec une substance alimentaire que l’enfant souffrant d’eczéma y deviendrait allergique.
Il ne faut pas oublier que plusieurs facteurs peuvent déclencher des poussées d’eczéma : les allergènes respiratoires, les bactéries présentes sur la surface de la peau, les substances irritantes, les changements de climat et le stress psychologique. De plus, expliquer aux parents comment bien prendre soin de la peau de leur enfant suffit généralement pour améliorer sa condition. C’est dans ce contexte que le dermatologue Ki-Young Suh écrivait que seulement un très petit pourcentage d’enfants ont un eczéma dû à une allergie alimentaire.
Des symptômes plutôt flous
Ce qui peut augmenter la confusion des parents, c’est que certains symptômes d’allergies sont peu spécifiques et peuvent avoir différentes causes. C’est particulièrement vrai pour l’allergie au lait de vache. Des chercheurs britanniques ont d’ailleurs conclu que les symptômes d’allergie au lait de vache décrits dans certaines lignes directrices, dont les poussées d’eczéma, sont fréquents chez les bébés, ce qui mènerait à un surdiagnostic d’allergies au lait.
La confusion peut également être importante avec les symptômes cutanés, qui peuvent être très variés. Par exemple, les manifestations cliniques de l’allergie au lait de vache peuvent survenir à peine 30 minutes après que l’enfant y ait été exposé, écrivaient en 2010 des chercheurs italiens. Lorsque c’est le cas, il s’agit généralement d’urticaire ou d’érythème, deux conditions distinctes de l’eczéma. En fait, si un aliment provoque de l’eczéma, celui-ci se développera plus tard, c’est-à-dire plusieurs heures, voire quelques jours après l’exposition.
Selon les chercheurs italiens, il y aurait ainsi quatre fois plus de parents qui disent que leur enfant est allergique à un aliment que d’enfants qui le sont vraiment. Ils insistent donc sur le fait qu’un test de provocation oral est la meilleure façon de confirmer qu’un enfant est allergique à un aliment. Lors de ce test, on administre par la bouche un aliment auquel on soupçonne l’enfant d’être allergique, en commençant par de faibles quantités et en les augmentant progressivement pendant l’examen.
Les risques d’éviter certains aliments
Selon Ki-Young Suh, bien que l’efficacité de la stratégie consistant à simplement éliminer des aliments pour traiter l’eczéma ne soit pas démontrée, 75 % des parents disent y avoir eu recours.
Sans supervision, ces diètes comportent des risques. Selon des experts, les régimes d’éviction (où l’on évite complètement un aliment) qui ne sont pas nécessaires peuvent aggraver les réactions allergiques et affecter la qualité de vie des enfants et de leur famille. Par exemple, en 2015, des médecins italiens rapportaient le cas d’un bébé nourri exclusivement avec une boisson de riz en raison de son eczéma et qui avait développé le kwashiorkor, une forme de malnutrition caractérisée par une carence en protéines.
Verdict
Bien qu’il semble y avoir une association entre la présence d’eczéma et l’apparition de certaines allergies alimentaires, ces dernières seraient rarement la cause de cette maladie. En fait, ça pourrait même être le contraire. De plus, éliminer des aliments de la diète d’un enfant n’est pas sans risque. Cette stratégie devrait être utilisée seulement lorsque l’allergie alimentaire a été confirmée de façon convaincante et sous la supervision d’un professionnel.
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