L’emploi dans le Grand Nord 

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Par François Bellemare | Dossier Économie

Il y a beaucoup d’emplois dans les communautés inuites. Les responsables inuits déplorent la faible proportion des leurs qui les occupent. Ils reconnaissent qu’il leur faut prendre les bouchées doubles en ce domaine. Mary Simon, Gouverneure générale du Canada, soulignait que « le Nunavik doit former plus de professionnels, et dans tous les domaines ».

Bien que les entreprises priorisent l’embauche locale, seulement 50 % des postes sont occupés par des Inuits. Ce n’est pas par mauvaise volonté des dirigeants, souvent eux-mêmes inuits.

L’employabilité locale était d’ailleurs inscrite dans la Convention de la Baie-James en 1975. 

Le défi de l’employabilité

Les générations maintenant retraitées ont souvent occupé toute leur vie des emplois sans avoir de formation professionnelle. Cependant, le développement des services exige aujourd’hui une main-d’œuvre de plus en plus qualifiée.

Le programme statistique, Nunavik en chiffres – édition 2020, indique que 65 % des adultes n’ont pas leur diplôme d’études secondaires. C’est pour répondre à ce défi que l’Administration régionale Kativik a amorcé en 2017 le programme Pijunnaqunga – qui signifie « je peux le faire ». Le chef d’équipe Guillaume Pageau-Lefebvre en résume les grandes lignes : 

« Notre mission est d’offrir aux Inuits la possibilité d’occuper localement des emplois durables, comportant un niveau de responsabilité professionnelle.

On s’adresse à deux clientèles distinctes. D’une part, des gens à la recherche d’emploi qui voudraient travailler dans leur communauté, mais qui pour toutes sortes de raisons n’arrivent pas à occuper d’emploi permanent. D’autre part, ceux déjà employés par les organisations inuites, mais qui souhaitent augmenter leurs compétences, vers des tâches à niveau plus élevé de responsabilités ».

La Commission scolaire Kativik se charge déjà de la formation générale jusqu’à la fin du secondaire, ainsi que de la formation technique. Le mandat du programme a été formaté plutôt vers les emplois de bureau.

Recruter à l’épicerie 

Pour le recrutement, il y a bien sûr les employeurs eux-mêmes, qui peuvent suggérer à leur personnel une démarche d’amélioration des compétences, ainsi que les médias sociaux et la radio communautaire qui attirent de nombreux candidats. Mais souvent, il faut une approche de recrutement plus terre-à-terre.

« Tout le monde passe régulièrement à la coop d’alimentation. On installe une table d’information 2 à 4 jours avant chaque formation. Cette méthode de recrutement direct, par des locuteurs de l’inuktitut, est un moment privilégié. Convaincre M. ou Mme Tout-le-monde que les opportunités d’emploi sont accessibles pour eux », précise Guillaume. 

Pour certains, remplir le formulaire d’inscription requiert souvent un effort non négligeable. Il sera suivi par une entrevue téléphonique, puis une seconde en personne, autant pour éclaircir les différents aspects de la démarche que pour encourager la motivation. Vient ensuite le moment de la formation en soi. 

Se réapproprier une routine quotidienne 

« À tour de rôle dans chacun des 14 villages inuits, poursuit Guillaume, on rassemble les inscrits pour deux semaines de formation. La première semaine porte sur l’utilisation de l’ordinateur. Avec des présentations PowerPoint ou des vidéos tournées chez les employeurs, on tente d’illustrer la réalité de chaque milieu de travail, et de démystifier le travail à accomplir ». 

La deuxième semaine est dédiée à des principes généraux de santé au travail et de gestion de son temps, qui permettront non seulement d’obtenir un emploi, mais de le conserver.

Pour les gens ayant passé une longue période hors emploi, la marche est encore plus haute, nous explique Guillaume. « Ils doivent souvent se réapproprier une routine quotidienne, maintenir un horaire régulier de sommeil et de repas, planifier la garde des enfants ou des parents âgés, etc. C’est quelquefois un gros défi personnel. » 

Travailler comme journaliste ? Ou à la municipalité ? 

Parmi les entreprises nunavikoises contactées, quelques médias offrent des possibilités d’emploi priorisant les locuteurs de l’inuktitut : une radio communautaire dans chaque village, la radio régionale également diffuseur de la télé communautaire, un hebdo bilingue inuktitut-anglais, ou encore la station de radio CBC. La formation inclut une courte présentation, pour démystifier le rôle de journaliste.

Transmettre le message que, comme les autres entreprises régionales, ces médias offrent des possibilités de stages aux intéressés… car ils ont besoin de la relève ! 

La promotion du personnel inuit passe par le développement des compétences professionnelles. Des postes jadis considérés comme strictement physiques (gardiens de parcs nationaux, concierges d’hôtels) incluent maintenant une dose de bureautique : tenir des calendriers de réservation, remplir des rapports, passer des commandes de produits, etc. 

La rétention de stages 

Après ces deux semaines de formation, les participants peuvent obtenir un stage rémunéré de deux à trois mois dans l’une des organisations régionales cherchant du personnel local. Et au bout de plusieurs mois à travailler ainsi auprès d’un mentor, peut-être décrocher un poste régulier. Le programme maintient également un service de placement.

Cela peut s’expliquer par le nombre élevé de stages qui se déroulaient à Kuujjuaq, loin de la communauté des participants. C’est d’ailleurs un dilemme que confessent plusieurs responsables inuits : doivent-ils appuyer un développement rapide des services, induisant une forte croissance de Kuujjuaq ? Ou privilégier une construction plus patiente, supposant plus d’emplois dans chaque petit village ?

Au fil des évaluations annuelles, plusieurs aspects fonctionnent assez bien : l’approche du recrutement, le déroulement des formations, le matériel didactique, et les stages locaux. « Un problème demeure la rétention des participants dans les parcours de stages offerts dans d’autres villages que le patelin de résidence du stagiaire, concède Guillaume Pageau-Lefebvre. Cette année, aucun de ces stages n’a débouché sur le résultat espéré, réduisant évidemment les perspectives d’employabilité. » 

Charité bien ordonnée commençant par soi-même, on pourrait ajouter l’objectif pour l’avenir d’augmenter la proportion d’Inuits… Également au sein de la modeste équipe de Pijunnaqunga, dont ils constituent actuellement la moitié du personnel.

Évaluation des résultats

« Sur 80 personnes ayant suivi nos formations cette année, 17 ont obtenu un stage; et on en comptait onze en emploi à la fin, soit environ 15 %. Cela peut paraitre modeste comme ratio; mais il faut comprendre qu’en matière d’intégration socioprofessionnelle, le Nunavik est nettement sous la moyenne québécoise. Dans beaucoup de cas, les candidats doivent se reprendre à deux, trois fois pour réussir. 

Pour nous qui sommes en intervention sociale, chaque petite réussite est un accomplissement. Je pense ici à une participante sans aucune compétence préalable. Elle a obtenu un stage en comptabilité. Elle occupe maintenant le poste sur une base régulière. Ce qui prouve que si la voie académique ne convient pas à tout le monde, il existe des solutions de rechange pour que, dans son propre parcours d’emploi, chaque personne puisse se dire à elle-même : je peux le faire. »

L’emploi dans le Grand Nord 
Présentation PowerPoint par Allyza Rivas de Pijunnaqunga, sur l’utilisation d’une communication courriel efficace.  Photo F.B. 

Projet journalistique Nunavik 1975-2025

Sous ce titre général évoquant le 50e anniversaire de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ) dont sont issues les instances actuelles du Nunavik, l’auteur nous livre une série de reportages ou entrevues sur cette région au Grand Nord du Québec. Il a bénéficié d’une bourse d’excellence de l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ). 

L’emploi dans le Grand Nord 

                                                


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