Par Lucas Lelardoux Oliger | Dossier LGBTQ+
Ce dimanche d’hiver, l’église Saint-Pierre-Apôtre célébrait une messe. On assiste aux choses sues et répétées par tout catholique. Cependant, au cours de son homélie, le prêtre met en avant « l’inclusivité historique » de la paroisse. La paroisse, située à quelques pas du quartier montréalais du Village gai, se démarque depuis des années pour l’accueil affiché de paroissiens queers.
Dans la pratique, rien ne différencie cette communauté des autres. Les rites et la liturgie sont les mêmes que dans les centaines d’autres églises catholiques du Québec. La majorité des ouailles sont des aînés, ce qui démontre la baisse de la pratique religieuse qui est perceptible depuis des décennies.
Cette dichotomie peut paraître surprenante à première vue, si nombreuses étant les personnes 2ELGBTQIA+ étant poussées à vivre en autarcie des lieux de culte. Le discours ambivalent de l’Église catholique, additionné à un passé encore plus violent à leur encontre, en sont les causes principales.
Contexte
Entre les années 1970 et 1990, le Saint-Siège a amendé son dogme : les personnes homosexuelles ne sont plus pécheresses par leur nature. Toutefois, les relations sexuelles homosexuelles le restent. Par ce fait, le catéchisme catholique appelle ce public à la chasteté et à la prière. Par exemple, le mariage ou l’adoption pour les personnes gaies sont déclarés comme impossibles par le Vatican. Cependant, les prises de position des hauts dignitaires catholiques sont divergentes, tant dans le rejet que l’accueil de ces communautés. Fin 2023, le pape François a promulgué une permission sous conditions pour la bénédiction des couples homosexuels. Cette bénédiction ne peut être effectuée comme un rituel catholique, comme la cérémonie du mariage par exemple, le Vatican voulant éviter tout rapprochement possible entre un couple hétérosexuel, célébré et porté aux nues, et un couple homosexuel, qui peut désormais être toléré et accompagné.
Carole-Ann Joanisse est docteure en sexologie et autrice d’une étude sur le profil identitaire de certains hommes homosexuels de la paroisse Saint-Pierre-Apôtre. Fondée sur plusieurs entrevues, son expertise, qui ne peut prétendre généraliser les expériences de l’ensemble de la communauté, reste précieuse pour déterminer les problématiques du sujet.
Par ailleurs, au-delà des questions de doctrine, elle souligne que les caractéristiques des enquêtés gais en milieu catholique sont multidimensionnelles, tant leur intégration relève d’une négociation de leur identité selon plusieurs facteurs : leur rapport à l’Église, leur appartenance communautaire ainsi que leur acceptation de leur orientation sexuelle.
Elle donne l’exemple des contextes sociaux et géographiques : « À Montréal, si le catholicisme restait sur des dogmes fermes, il y aurait sûrement moins de paroissiens, déjà qu’il y en a de moins en moins. J’ai plus de réserves pour des régions plus éloignées ou plus rurales. C’est mieux qu’il y a 10 ou 20 ans, mais ça reste plus difficile parce qu’il n’y pas de pression qui leur est infligée » pour l’acception des personnes queers.
Une église différente ?
L’église Saint-Pierre-Apôtre est-elle en mesure de soigner les souffrances infligées par les discours des hauts dignitaires catholiques ? « Les personnes que j’ai rencontrées pouvaient avoir plusieurs réactions » concernant leur identité religieuse et sexuelle, répond Carole-Ann Joanisse.
Parmi ceux dont « la religion est entrée plus tard dans leurs vies, ils ont été moins confrontés à la doctrine plus traditionnelle, et donc n’y voient pas un impact négatif sur leur orientation sexuelle. Ils ont débuté par cette paroisse qui est au cœur du Village gai de Montréal et y ont développé leur identité religieuse ». Cependant, « les personnes qui ont vécu la religion depuis leur plus tendre enfance, recherchaient à Saint-Pierre-Apôtre une manière de mieux vivre avec leur identité religieuse et sexuelle ».
De l’intérieur, le prêtre Philippe Morinat, préfère voir la politique d’accueil de son église de manière plus universelle. L’accueil de la communauté 2ELGBTQIA+ est plus le résultat d’une « réalité de quartier » qu’une « démarche revendicatrice ». Ceci n’est pas forcément à la convenance de tous les potentiels paroissiens concernés. M. Morinat se remémore l’exemple de deux personnes trans qui ont quitté la paroisse peu de temps après avoir commencé de la fréquenter, car elles estimaient que celle-ci ne répondait pas aux exigences de leur lutte pour leur émancipation.
De ce fait, nos questions sur la doctrine comme sur la relation entre l’Église et les dirigeants catholiques du Québec ou du Vatican sont éludées par M. Morinat.
Mais est-ce que Saint-Pierre-Apôtre a trouvé sa recette de la tolérance ? Le débat peut légitimement se poser. Mme. Joanisse témoigne vis-à-vis de son expérience dans cette église : « On ressent un discours alternatif qui ne se nomme pas. C’est difficile à expliquer mais la paroisse, par son inclusivité, propose des alternatives afin d’inclure les deux conjoints de mêmes sexes dans les cérémonies traditionnelles ».
Et en effet, certains évènements de la vie catholique sont plus inclusifs à Saint-Pierre-Apôtre qu’ailleurs. Par exemple, un couple homoparental qui souhaite faire baptiser ses enfants peut faire biffer la mention « père » ou « mère » du formulaire de baptistaire.
Sexe, genre, Église
Ce qui ressort principalement de l’église Saint-Pierre-Apôtre du Village gai, c’est que si le catholicisme a longtemps influencé la culture commune, les aspirations et combats 2ELGBTQUIA+ ont désormais également un poids. Les grandes villes offrent un sentiment d’unité plus simple à établir, ce qui fait que le mouvement est en possibilité de faire changer les choses. Philippe Morinat est d’accord avec cela, par ailleurs il avance que la présence importante d’ouailles 2ELGBTQIA+ à Saint-Pierre-Apôtre est le résultat de causes sectorielles. En effet, précisant l’histoire du Village Gai, il met en avant que la fréquentation de l’église par des personnes queers est plus le résultat de leur présence historique dans le quartier qu’une recherche particulière d’accès à ces populations.
Pour autant, l’exemple de paroisse Saint-Pierre-Apôtre ne doit pas occulter que les prises de positions quant à l’accueil des communautés 2ELGBTQIA+ sont divergentes au sein du clergé. Si des avancées existent, telles que la bénédiction des couples ou la position globalement progressiste du pape, il reste bon de souligner que la queerphobie est toujours très présente parmi des hauts-dignitaires influents du catholicisme, dont au Québec.
Par exemple, Christian Lépine, archevêque de Montréal, s’est à plusieurs reprises illustré dans des équipées homophobes. En 2009, les sous-sols de l’église de Repentigny qu’il dirigeait alors accueillaient des réunions incitant des fidèles à « développer le potentiel hétérosexuel » des adolescents. Ce discours se fonde sur la théorie des « thérapies » de conversion, actes par ailleurs soumis à une interdiction provinciale depuis 2020 et fédérale depuis 2022.
Toutefois, la Conférence des Évêques Catholiques du Canada n’a pas eu de déclarations allant à l’encontre de la réforme du pape. Elle s’est contentée de rappeler que cette bénédiction pour ce qu’elle nomme des “unions irrégulières” était destinée à la quête d’une “aide divine pour vivre dans la fidélité à la volonté de Dieu”, tout en soulignant une démarche de “miséricorde”.
L’évolution de l’Église catholique sur les questions d’inclusion reste profondément marquée par des lignes de crête qui se polarisent de plus en plus. Au contraire de Saint-Pierre-Apôtre, de nombreuses organisations identitaires revendiquent des racines chrétiennes qui excluraient de fait toute diversité sentimentale, sexuelle et de genre. Il est possible que, si ce discours triomphait et gagnait une forme de guerre culturelle, l’exclusion liquide les valeurs de tolérance et d’amour.
2ELGBTQIA+ et mouvement queer
La discrimination est fondée sur le fait que la majorité désigne un groupe en fonction de ce que en quoi il diffère d’elle. Implicitement, cela met en place une mise à l’écart des autres. Une personne hétérosexuelle et/ou cisgenre ne sera que très rarement ammené à se définir ainsi. C’est la première étape du stigmate, qui dérive par ricochets en discriminations et en violences.
C’est pourquoi les minorités, dans ce cas la diversité sentimentale, sexuelle et de genre, luttent pour se réapproprier et redéfinir ces appellations. Le terme queer (bizarre, en anglais) est un bon exemple : originellement insulte désitnée à les exclure des rapports sociaux, elle est aujourd’hui largement utilisée pour englober et solidariser ces personnes entre elles.
Dans une mesure différente, 2ELGBTQIA+ est un sigle visant aussi englober cette communauté très diverse. Originellement uniquement composé en LGBT, il s’ouvre au fil de l’avancée du mouvement pour devenir plus inclusif. Rappel de signification : 2E = Deux esprits ; L = Lesbienne ; G = Gai ; B = Bisuxel ; T = Transgenre ; Q = Queer/En questionnement ; I = Intersexe ; A = Asexuel/Aromantique ; + = tous les autres non-cités.
Théologie de l’homosexualité
La Bible contient des versets qui sont souvent utilisés pour condamner l’homosexualité et la fulidité de l’identité de genre. À noter que la théologie queer réfute ces arguments, arguant des mauvaises traductions, des interprétations falacieuses ainsi que des contre-exemples.
Toutefois, le Catéchisme de l’Église catholique décrit, par le biais de ses articles 2357, 2358 et 2359, ces questions en ces termes :
“(…) S’appuyant sur la Sainte Écriture, qui les présente comme des dépravations graves (…), la Tradition a toujours déclaré que “les actes d’homosexualité sont intrinsèquement désordonnés” (…). Ils sont contraires à la loi naturelle. Ils ferment l’acte sexuel au don de la vie. Ils ne procèdent pas d’une complémentarité affective et sexuelle véritable. Ils ne sauraient recevoir d’approbation en aucun cas.
(…) Cette propension, objectivement désordonnée, constitue pour la plupart d’entre eux une épreuve. Ils doivent être accueillis avec respect, compassion et délicatesse. On évitera à leur égard toute marque de discrimination injuste. Ces personnes sont appelées à réaliser la volonté de Dieu dans leur vie, et si elles sont chrétiennes, à unir au sacrifice de la croix du Seigneur les difficultés qu’elles peuvent rencontrer du fait de leur condition.
Les personnes homosexuelles sont appelées à la chasteté. Par les vertus de maîtrise, éducatrices de la liberté intérieure, quelquefois par le soutien d’une amitié désintéressée, par la prière et la grâce sacramentelle, elles peuvent et doivent se rapprocher, graduellement et résolument, de la perfection chrétienne.”