Mary Simon l’activiste

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Par François Bellemare | Dossier Autochtone

Représentante de la monarchie et donc cheffe d’État protocolaire, Son Excellence Mary Simon a suivi un singulier destin. À l’heure où les Inuits du Québec parlent d’autogouvernance, Le singulier destin de Ningiukudluk, la petite fille de Kangiqsualujjuaq.

La Nunavikoise de 77 ans est née en 1947 à Kangiqsualujjuaq, d’un père britannique anglophone et d’une mère inuite. Dans ce coin de l’Est de la baie d’Ungava qui commençait à peine à voir les familles semi-nomades s’y sédentariser, la petite enfance de celle que sa famille surnomme Ningiukudluk (qu’on pourrait traduire par « p’tite mémère autoritaire ») se déroule de façon toute traditionnelle, entre chasse au caribou et traîneaux à chiens.

Elle fréquente ensuite à Kuujjuaq l’école fédérale, qui vient dispenser une instruction exclusivement en anglais, punissant tout élève osant y parler inuktitut. Ce régime scolaire spécifique au Grand Nord – imposant l’anglais, ignorant le français et interdisant l’inuktitut — durera jusqu’à la nomination de René Lévesque comme ministre des Ressources naturelles du Québec qui entrepris d’y instaurer, pas à pas, l’enseignement en inuktitut en maternelle, puis au premier cycle du primaire.

Faisant partie de la première génération inuite ayant un plus grand accès aux études supérieures, elle étudiera en journalisme au Colorado (son père y a de la famille), puis revient dans l’Arctique comme journaliste à la radio de CBC North afin d’y couvrir l’actualité des communautés inuites au quotidien, apparemment immuable. Elle a 24 ans lorsque sous ses pieds, soudain l’Histoire s’accélère.

La Baie James

Le gouvernement de Robert Bourassa vient d’annoncer le projet du siècle : la construction de méga barrages dans le bassin hydrographique de la Baie James qui modifiera à jamais la vie des Cris et des Inuits. Ce sera cette génération de diplômés de ces deux peuples qui portera la contestation en Cour du Québec, où l’Association des Indiens du Québec (AIQ) obtiendra en 1973 le fameux jugement Malouf, ordonnant la suspension des travaux jusqu’à conclure une entente avec les autochtones. Bien que la Cour d’appel du Québec infirme peu après la décision, les jeunes militants font le pari de la négociation qui débouche deux ans plus tard à la signature de la Convention de la Baie James et du Nord québécois (CBJNQ) avec les Cris et Inuits (et plus tard avec les Naskapis).

Ils cèdent leurs droits ancestraux – d’ailleurs jamais clairement définis – en échange d’instances modernes qu’ils dirigeront : municipalités, commission scolaire, administration régionale supra municipale, etc. De plus, des montants de compensation qui, pour les Inuits, seront gérés par la Société Makivvik dont Mary Simon sera vice-présidente, puis présidente. Pendant cinq décennies, elle restera à l’avant-scène de l’Inuitie.

elle nous rappelle quelques grands théâtres dans lesquels elle a joué un rôle important au cours des dernières décennies. Dans l’historique négociation des années 1973-75 vers la CBJNQ, puis dans les négociations constitutionnelles de 1982 – au bout desquelles sera inclus l’article 35 de la Constitution canadienne sur la Reconnaissance des Droits des Autochtones, jusqu’alors séparés en trois catégories juridiques : Indiens, Inuits et Métis.

Elle sera ensuite présidente (1986-92) de la Conférence circumpolaire inuite, devenue plus tard le Conseil circumpolaire inuit, pendant laquelle les Nations-Unies adoptent leur Déclaration sur les Peuples indigènes. Ambassadrice du Canada au Danemark (dont sont citoyens les Inuits du Gröenland), elle a appuyé la création du Conseil de l’Arctique, une instance internationale regroupant huit pays de trois continents.

Elle a aussi assumé la présidence de l’Inuit Tapiriit Kanatami (regroupement des Inuits du Canada), en plus de siéger en d’innombrables instances liées à la culture ou l’éducation. Maintenant impliquée dans le complexe dossier « Réconciliation », elle en appelle « à un effort de tout le monde pour que nos différentes cultures puissent vivre côte à côte, en paix ». Seule épine à son pied : avoir entrepris trop tardivement d’apprendre le français, malgré les décennies de pourparlers avec ses interlocuteurs québécois. Dans d’autres entrevues, elle explique cette faiblesse comme une conséquence du régime scolaire des écoles fédérales dans les années 1950.

La militante

Spontanément, elle quitte le ton et les formules toutes faites, pour reprendre un ton engagé. Avec le doux accent de sa langue maternelle, elle reconnaît d’abord les avantages tirés de la Convention de 1975, considérée comme le premier traité moderne entre Blancs et Autochtones.

En un argumentaire peaufiné, au ton presque militant, elle enchaîne sur l’importance de négocier une nouvelle étape. « Le Nunavik doit former plus de professionnels, et dans tous les domaines : enseignement, santé, transport, administration. Cependant, la formation scolaire ne doit pas seulement viser le seul succès académique; mais aussi la transmission de notre culture aux prochaines générations. Pourquoi ne pas développer un curriculum en inuktitut pour enseigner les mathématiques ou les sciences ? Il faut que la jeunesse nunavikoise relève ce défi. »

Mary Simon ne nie pas les difficultés sociales que traversent les localités inuites, entre autres la santé mentale des localités isolées, sur laquelle elle insiste. « La pandémie a empiré les choses. Espérons que l’époque post-Covid les adoucira ! ». Deux fois, une adjointe viendra signaler que le temps prévu pour notre entrevue est dépassé; deux fois, Son Excellence poursuivra la conversation, pour conclure sur les négociations en cours avec le Québec. Elle espère une nouvelle entente, débouchant sur ce qu’elle appelle « une autogouvernance des Inuits au Nunavik »; un processus exigeant, concède-t-elle.

Mais pour la petite fille de Kangiqsualujjuaq devenue cheffe d’État, il n’existe aucun défi sans solution…

L’auteur a reçu pour ce projet journalistique une bourse d’excellence décernée par l’Association des journalistes indépendants du Québec (AJIQ).

Photo de Mary Simon : François Bellemare


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