Critique littéraire : Papier bulle

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Par Colin McGregor | Dossier Famille

Papier bulle par Simon Boulerice, illustré par Ève Patenaude, Les Éditions XYZ

L’hémophilie est une maladie héréditaire qui se traduit par une impossibilité pour le sang de coaguler. L’hémophilie sévère se manifeste par des hémorragies graves tout au long de la vie. Ceux qui en souffrent peuvent saigner de manière incontrôlable après la moindre coupure. 

Les filles hémophiles qui ont leurs règles se retrouvent dans une situation mortelle tous les mois. Heureusement, cette maladie, répandue dans des familles royales consanguines d’Europe, n’affecte, sauf rares exceptions, que les patients de sexe masculin.

Voici une bande dessinée québécoise qui aborde l’une de ces exceptions : Hortense, une jeune fille pleine d’entrain et de dynamisme, qui rêve de se débarrasser de sa maladie pour devenir ninja. Ses parents protecteurs sont toujours aux aguets lorsqu’elle est en mouvement : 

S’ils le pouvaient, mes parents m’emballeraient dans du papier bulle, exactement comme si j’étais un électroménager important ou un bibelot précieux qu’on ne veut pas abîmer. On me pense fragile comme un bibelot. 

Sa mère fabrique des protections de papier bulle pour couvrir les angles des meubles les plus pointus dans la chambre d’Hortense. 

L’histoire est racontée dans les mots de la jeune fille. Sa narration est écrite à la main en lettres moulées, on la retrouve au-dessus, au-dessous, devant et autour des images. Sur presque chaque page est illustrée notre héroïne. Ses saignements sont représentés par des pétales de fleurs rouges. Un beau choix d’Ève Patenaude. 

Ses illustrations, qui ressemblent aux gouaches nébuleuses avec des couleurs flottantes, donnent un air onirique à ce livre destiné à un auditoire jeune. Mme Patenaude aime sans doute faire ses dessins avec des feutres à l’alcool, comme Hortense le fait elle-même, dit-elle au début du livre. 

Sur chaque page, le processus de “bleeding” (saignement), est illustré par un dessin que l’on perçoit différemment sur le verso. Ainsi, la même image offre plusieurs perspectives. Sur l’œuvre inversée, confie Hortense : « J’ai l’impression de découvrir quelque chose de moi… Un bleeding peut être un chef-d’œuvre. »

Elle lutte pour elle-même et contre sa maladie, non pas avec ses pairs. À l’école, tout le monde autour d’elle est compréhensif et aidant : 

Quand je saigne en classe, tout le monde s’active autour de moi. On pousse les pupitres sur mon passage, on me fait une haie d’honneur. Je deviens le centre de l’attention en raison de ma vulnérabilité, et je n’aime pas ça. Je voudrais que ce soient mes aptitudes de karatéka-ninja qui terrifient mes camarades de classe. 

Simon Boulerice est une figure incontournable des médias québécois. Il est à la fois auteur, dramaturge, poète, romancier et invité captivant de talk-shows. Son texte est simple et direct. Le lecteur finit par s’attacher à « La féroce Hortense », comme elle se qualifie elle-même. La fin, sans vouloir la dévoiler, est émouvante.

M. Boulerice illumine la réalité de nombreuses personnes dans notre société : les maladies et les handicaps imposent des limites à la façon dont nous pouvons mener notre vie. En parallèle, il éclaire la lutte contre ces limites que la malchance génétique a érigées.

Lire Papier bulle, c’est voir la vie à travers les yeux d’une jeune fille marginalisée par des forces qui l’échappent. Les illustrations et le texte ont été réalisés avec une délicatesse et une sensibilité extraordinaires. Simon Boulerice mérite bien son statut de célébrité de Hollywood Québec. 


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