Portrait de Kujo – Jacob Lyons
Par Équipe de Reflet de Société | Dossier Culture

Kujo ne perçoit presque aucun son. Danseur américain de renommée internationale et membre de la troupe ILL-Abilities, il vit avec une surdité quasi-totale. Là où d’autres écoutent, lui devine, ressent, anticipe. Le hip-hop devient pour lui une langue à part entière — physique, pulsée, viscérale. Participant au spectacle Pas d’Excuses, Pas de Limites, Kujo n’a pas simplement dansé : il a renversé les codes. Et cette secousse-là, tout le monde l’a entendue.
Kujo est né sourd de l’oreille droite. À l’âge de quatre ans, il perd presque toute l’audition de l’autre oreille. Depuis, il entend un peu grâce à un appareil auditif puissant. Mais sa réalité est bien différente de celle des autres : il doit lire sur les lèvres, éviter les environnements bruyants, parler doucement et écouter dans le silence. Son handicap est invisible, mais omniprésent.
« Je suis né avec un handicap que personne ne voit, mais que j’ai toujours ressenti comme un mur entre moi et le monde, » explique-t-il. Victime d’intimidation dans son enfance, Kujo grandit avec des troubles de la parole, une colère sourde, un sentiment d’isolement.
Parfois même, il avoue avoir eu des pensées suicidaires. Puis, un jour, une révélation salvatrice : il découvre le hip-hop.
Apprendre à voir la musique
À l’âge de 15 ans, Kujo tombe amoureux du break. Il ne peut pas entendre les beats comme les autres. Qu’importe : il les observe. Il scrute les danseurs avec une intensité nouvelle. Il étudie la musique du corps, les ruptures de gestes, les souffles qui précèdent les bonds. Là où d’autres écoutent, lui décode, anticipe, lit.
« Je ne pouvais pas entendre la musique, alors j’ai appris à voir le rythme. »
Ce regard particulier sur la danse devient son langage, sa signature. Il compose un style anguleux, saccadé et fluide à la fois. Très vite, il se fait alors remarquer sur les scènes souterraines. Son nom circule, inspire, électrise. Des États-Unis à la Corée, de la rue aux théâtres, sa gestuelle dépasse les codes.
Transformer la faiblesse en puissance
Chez ILL-Abilities, un collectif international de danseurs en situation de handicap, Kujo trouve une résonance immédiate. Fondé sur le credo « Pas d’Excuses, Pas de Limites », le groupe incarne une vision du hip-hop comme art de la résilience. Chaque membre transforme sa particularité en force chorégraphique. Kujo y entre en 2007.
Son style déroutant, presque mathématique, devient un pilier de l’esthétique du groupe. Il participe à des battles, crée des spectacles, anime des ateliers, défend l’idée d’une danse accessible et subversive. En 2008, il crée Metanoïa, un spectacle théâtral primé — Ce qu’il ne savait pas, c’est que parmi les centaines de visages dans la foule ce soir-là, il y avait celui de la femme qui allait un jour devenir son épouse.
Une scène pour faire entendre l’invisible
Lors de la dernière édition de la Semaine québécoise des personnes handicapées, Kujo a électrisé la Maison de la culture Maisonneuve. Le public, souvent confronté à des représentations plus classiques du handicap, découvre alors une autre forme de lutte : silencieuse, intérieure, mais profondément visible.
Son handicap ne le définit pas — il l’a intégré, digéré, transcendé. Comme il le dit lui-même : « Quand je suis faible, c’est alors que je suis fort. »
Dans cette phrase, toute l’histoire de Kujo tient en tension. Il n’a pas « vaincu » son handicap. Il a appris à l’habiter, à l’écouter à sa manière. Il ne danse pas « malgré » sa surdité ; il danse avec elle.
Plus qu’un danseur
Aujourd’hui, Kujo a plus de 30 ans de carrière derrière lui. Il continue à danser, à enseigner, à performer, à soulever des haltères de 295 kg pour le plaisir — mais surtout à inspirer. Pour lui, danser n’a jamais été une simple discipline : c’est une manière d’exister dans un monde qui ne fait pas toujours de place aux voix différentes, surtout celles qu’on n’entend pas.
Dans un écosystème artistique souvent formaté, il rappelle que la création naît aussi du désalignement et qu’il y a une poésie dans l’adaptation.
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