En 2006 j’ai tenté de me pendre. Contrairement à ce que certains pensent, ceux qui veulent se suicider ne le font pas toujours sur un coup de tête mais y pensent, y travaillent, l’envisagent pendant de longs mois, voire des années, consciemment, patiemment, méticuleusement.
Sunny Boy | Dossier Suicide
Il est particulièrement déplacé de traiter de «con» quelqu’un qui souffre ou de prétendre qu’il tient encore à la vie parce que sinon il aurait déjà tenté de mourir. Désirer se tuer sincèrement est une chose et passer à l’acte en est une autre. Mais la seconde ne vient pas si on ne passe pas par la première.
Quiconque n’a jamais pensé au suicide ne devrait pas être autorisé à faire des reproches et des accusations à ceux qui vivent avec cette idée depuis des années, ou prétendre que la vie est belle. C’est son avis, sa vision de la vie. C’est peut-être sa vie, mais ça n’a rien à voir avec la souffrance de l’autre.
Les mauvais conseillers n’écoutent qu’eux-mêmes et n’essaient pas de se mettre dans la peau de l’autre, de celui qui souffre. L’empathie ne s’apprend pas à l’école.
Mon histoire de vie et de crise
Depuis l’adolescence je pensais à mettre fin à mes jours. Je ne me sentais pas à ma
place. C’est toujours le cas. À la suite de viols répétés commis par un membre de ma famille, j’ai fini par sombrer dans une dépression qui s’est transformée en psychose. Et ce n’est qu’en 2006 à l’âge de 24 ans que j’ai tenté de me pendre. Pendant des mois j’ai cherché les meilleures méthodes.
En même temps, par ambivalence, j’avais peur de l’état dans lequel, si je me tuais, je laisserais ma famille qui n’était pas au courant de ces agression subies pendant des années. Un homme qui passait aux yeux des autres comme quelqu’un de bien, de généreux et qui réussissait. Un homme marié à une femme qui ne pouvait pas être au courant de certaines choses. Je revois cette femme aujourd’hui, cette tante dont le sourire crispé posé sur moi en dit long. Et moi j’étais celui qui sombrait sans qu’on comprenne pourquoi. J’étais le vilain petit canard, posé là, dans des états déplorables. Des semaines sans manger, dans le noir, à dormir, des mois sans hygiène. L’enfer.
La mort de mon agresseur
Le premier cadeau de la vie fût le décès naturel de mon agresseur. Une crise cardiaque. Sur le moment, ce fût des pleurs de soulagement et de colère entremêlés. J’ai pensé qu’il y avait une justice finalement.
Mais les années ont passé et je vivais toujours dans la haine. J’ai fini par pardonner à cet homme, tout en n’arrivant pas, malgré tout, à remonter la pente dans mon cœur. J’ai abandonné les études. J’avais de grandes difficultés à me faire des amis. Je suis agoraphobe. Les seules choses que j’étais capable de faire était peindre, écrire, lire et aller au cinéma, que j’adore. Ces occupations peuvent paraître futiles, mais de nombreuses fois, j’ai pensé ne pas mourir pour continuer mes œuvres. Et plusieurs fois, elles m’ont sauvé la vie. Comme quoi la vie tient à presque rien.
La fuite
J’ai fui de chez mes parents pendant trois ans. J’ai rencontré des hommes et je suis tombé dans la prostitution masculine. J’ai curieusement su éviter l’alcoolisme et la drogue. J’ai vu des choses très sombres autour de moi, j’ai vu que j’avais une grande capacité d’encaisser le mal. J’ai connu la rue.
Un jour mes parents m’ont retrouvé et m’ont ramené chez eux. Ils ont entrepris des démarches pour que je reçoive l’aide sociale que j’avais toujours refusée. Ils m’ont trouvé un thérapeute à l’écoute…
À mon retour chez eux, j’ai tout de même tenté de me pendre. Pour qu’ils aient un meilleur souvenir de moi, j’ai menti sur mes sentiments de désespoir pendant 3 mois. En apparence, je sais très bien montrer de la gaieté. J’ai un côté rayonnant qui peut faire énormément de bien aux autres. À l’intérieur, dans mon esprit, mon âme et mon cœur, c’est l’abattoir, l’horreur et les ténèbres. L’impression de n’être chez moi nulle part sur cette planète. De ne pas être fait pour la vie à moins qu’elle ne soit pas faite pour moi. Je pense que beaucoup de lecteurs me comprennent.
Jouer un rôle
Pendant 3 mois, j’ai joué le rôle de celui qui reprenait goût à la vie. J’écoutais, je réagissais en fonction de ce qu’on attendait de moi. Rien de plus facile. Je n’arrivais pas beaucoup à sortir mais j’ai tout de même fait semblant d’aller un peu mieux. Un jour, j’ai attendu que mes parents soient sortis. J’ai fait le ménage dans ma chambre, j’ai jeté beaucoup de vêtements, j’ai rédigé une lettre très précise et très courte, qui leur disait, en gros, de ne pas être tristes, que c’était mon choix et que c’était probablement le meilleur que je puisse faire en tant qu’adulte.
La vie est ainsi faite: par le plus grand des hasards, mon grand frère est entré dans l’appartement, alors que ce n’était pas prévu, au moment même où je poussais la chaise et que je n’arrivais plus à déglutir. Une sensation effroyable la pendaison! Il m’a retenu à temps et m’a sauvé la vie. Il était venu à la demande de ma mère pour ne pas que je reste seul ce jour-là. Elle avait un mauvais pressentiment.
L’hôpital psychiatrique
J’ai passé quelques mois à hôpital psychiatrique. Aujourd’hui, je suis toujours enfermé, chez mes parents, qui sont dépassés. Incapable de travailler, de parler, de me lier à quelqu’un. Je le dis avec humour mais, les seuls êtres vivants avec qui je m’entends, ce sont les chiens, les chats et les perroquets, qui d’ailleurs m’apprécient fortement. À croire qu’eux m’acceptent sans discuter dans leur monde. Je suis aussi incapable d’aimer la société et l’avenir de consommateur ou de miséreux qu’elle offre au bout du compte.
J’ai des épisodes psychotiques traités. Je reste lucide dans ces bouffées délirantes. J’envie ces malades qui ne se rendent pas compte.
Le soir, avec ma lunette astronomique je regarde les étoiles dans le ciel, la seule chose qui m’intéresse en ce moment. À force de regarder le ciel, je me demande comment les croyants peuvent penser une seule seconde mériter après leur mort une chose aussi incroyablement belle et immense, une chose aussi réelle que le ciel, aussi belle.
Aujourd’hui le désir de mourir est inhérent à l’air que je respire. Quand je me réveille, je pleure, quand je me couche, je prie n’importe qui de me permettre de partir tranquillement dans mon sommeil. Je n’ai pas très envie de retenter la pendaison, parce que c’est particulièrement douloureux. Je sais qu’il existe des étouffements possibles aidés de somnifères adéquats. Mais mon thérapeute me surveille de près. J’ai beau lui mentir sur mon désir de mort, je vois bien qu’il le perçoit malgré tout.
Y a-t-il un espoir?
Prendre cet espace pour m’exprimer, pour être lu et entendu m’a fait un peu de bien. Merci pour votre écoute et votre soutien. Il ne faut pas hésiter à demander de l’aide.
Ressources sur le suicide
- Québec: 1-866-APPELLE (277-3553). Les CLSC peuvent aussi vous aider.
- Canada: Service de prévention du suicide du Canada 833-456-4566 ; Ligne d’aide 24/7 : 988
- France Infosuicide 01 45 39 40 00 SOS Suicide: 0 825 120 364 SOS Amitié: 0 820 066 056
- Belgique: Centre de prévention du suicide 0800 32 123.
- Suisse: Stop Suicide
- Portugal: (+351) 225 50 60 70
Survivre, un organisme d’intervention et de veuille en prévention du suicide et en promotion de la Santé mentale. Pour faire un don. Reçu de charité pour vos impôts. Merci de votre soutien.
Le guide d’intervention auprès de personnes suicidaires démystifie le suicide. Il permet d’aider les proches à reconnaître les signes avant-coureur du suicide et de déterminer qu’est-ce qui peut être fait pour soutenir la personne en crise.
Une section du guide est réservée aux endeuillés par suicide.
Le livre est disponible au coût de 9,95$. Par téléphone: (514) 256-9000, en région: 1-877-256-9009. Par
Internet.
Par la poste: Reflet de Société, 3894, Ste-Catherine Est, bureau 12, Montréal, Qc, H1W 2G4
Maintenant disponible en anglais:
Quebec Suicide Prevention Handbook.
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