Par Lucas Lelardoux Oliger | Dossier Politique
Les guerres et émanations de violence entre l’État d’Israël et la Palestine surgissent dans le quotidien depuis l’enfance de chacun. Le principal nœud reste que deux aspirations politiques s’affrontent pour obtenir une légitimité à gouverner le territoire que recouvre actuellement Israël, la Cisjordanie et Gaza.
Ces terres proche-orientales, bordées par la Méditerranée et entourées par le Liban, la Syrie, la Jordanie et l’Égypte, sont au cœur de dissensions depuis plusieurs millénaires. Sur un plan spirituel, les trois religions abrahamiques leur prêtent un rôle central et sacré. Toutefois, cette région est avant tout un carrefour stratégique, clef de passage entre l’Afrique du Nord, l’Europe orientale et l’Asie occidentale.
Question(s) d’Orient
Depuis l’âge du fer, Israël-Palestine ont été ballotés entre les conquêtes des empires et des royaumes. À plusieurs reprises par intervalle, les gouvernances qui se sont succédées ont varié leur inspiration religieuse, sociale, économique ou politique. Il ne saurait être retracé ici un parcours exhaustif de toutes ces évolutions.
Notons que l’Antiquité a été marquée par l’avènement de provinces ou royaumes juifs indépendants ou rattachés à des pouvoirs extérieurs. C’est cette période qui est dépeinte dans la Torah, ainsi que dans la Bible.
Durant le Moyen-Âge, le territoire est dans un premier temps administré par l’Empire byzantin. Il est par la suite rattaché à des pouvoirs musulmans dès les premières décennies suivant la fondation de l’Islam au VIIe siècle. Toutefois, les souverains chrétiens européens et byzantins tentèrent jusqu’au XIIIe siècle de conquérir Jérusalem, s’organisant pour ce faire dans des croisades. Pendant près de deux siècles, la « Terre sainte » est placée sous la couronne de rois francs.
Outre cet interlude, la Palestine s’est profondément inscrite dans les espaces géosociaux du Proche-Orient, notamment des pôles turc et arabe. À partir des années 1260 jusqu’à la fin de la Première Guerre mondiale, le sultanat mamelouk puis son successeur, l’Empire ottoman, administrent ces territoires. Il est bon de souligner que les problématiques propres à cette période en Palestine sont similaires à celles rencontrées actuellement, autant en termes de diversité et de visions politiques différentes.
C’est à partir de cet état de fait et de plusieurs autres situations conjoncturelles, qu’advient la “Question d’Orient”. Tandis que l’Empire ottoman connaît un déclin de son pouvoir, les puissances européennes se confortent dans des politiques d’ingérence sur le territoire. De manière directe ou indirecte, celles-ci imposent aux Ottomans des capitulations de leur souveraineté. Par exemple, l’Empire russe se déclare “protecteur” des intérêts orthodoxes sur le territoire, de même que la France pour les catholiques. Ceci amorce un morcellement des identités, et cette désunion, combinée à de nombreux autres facteurs, sera le fondement de la reprise en main de la partie orientale de l’Empire ottoman après sa chute suivant sa défaite durant la Première Guerre mondiale.
Naissance d’Israël et Nakba
Aussi, en 1917, le Royaume-Uni prend alors le contrôle de la Palestine et un mandat qui lui sera confié trois ans plus tard au nom de la Société des Nations (SDN), ancêtre de l’ONU. Au même titre que la France en Syrie et au Liban, le territoire est alors dans l’escarcelle des intérêts britanniques sinon occidentaux, qui leur permet un point d’ancrage au Proche-Orient.
Cette période marque également une montée en puissance du mouvement politique sioniste. Ce courant, fondé à la fin du XIXe siècle, théorise alors une nécessité de la constitution d’une souveraineté étatique des Juifs persécutés en Europe. En effet, l’antisémitisme, présent de longue date, est alors en pleine ascension. En Europe de l’Est notamment, des massacres et déchaînements de violence sont organisés contre les Juifs par la population et souvent avec la complicité des autorités.
Dans ce contexte, de nombreux penseurs juifs voient comme échappatoire et opportunité de s’installer en Palestine, terre de la Torah et royaume juif antique. Parmi eux, Theodor Herzl est l’un des principaux théoriciens notamment au travers de son ouvrage L’État des Juifs (1896).
Les communautés juives ne sont pas toutes convaincues par cette proposition, avant même l’indépendance d’Israël comme actuellement. Par exemple, le mouvement Bund, notamment représenté par Marek Edelman, un des leaders du soulèvement du ghetto de Varsovie face aux nazis, adopte dès la fin du XIXe une tout autre posture. De nos jours, la remise en cause de l’État d’Israël est réalisée par des groupes juifs décoloniaux comme des ultra-orthodoxes, qu’ils justifient par des raisons multiples (interprétation de textes religieux, aspect moral et politique, …).
Toutefois, la lutte entreprise par ces acteurs s’allie aux intérêts britanniques dans la région, aboutissant à la célèbre Déclaration de Balfour, où le gouvernement britannique promet l’émergence d’un foyer national juif. Tandis qu’à cette époque des personnes effectuent une aliyah en Palestine mandataire, notamment pour fuir la montée des totalitarismes et les persécutions antisémites, de plus en plus de tensions explosent entre communautés juives et palestiniennes.
La fin de la Seconde Guerre mondiale accélère les choses en Palestine mandataire. Plusieurs facteurs s’entrechoquent : l’arrivée massive de réfugiés juifs, dont de nombreux survivants de la Shoah, et la crainte de la société palestinienne de l’émergence d’un État hébreu sur leurs terres ancestrales. La situation palestinienne est alors déjà ancrée dans un contexte colonial. Les errements des leaders palestiniens de l’époque sont égalemebt en défaveur de leurs aspirations : entre une stratégie largement critiquée et un rapprochement avec les forces nazies, qui au-delà même d’un aspect profondément immoral, ne sera qu’un prétexte de plus pour les autorités de ne pas joindre le peuple palestinien dans les décisions qui seront appliquées.
En effet, les années qui suivent voient se succéder des crises qui prennent la forme d’une guerre civile larvée : attentats, massacres et climat de violence. L’ONU propose alors un plan de partage pour deux États. Largement accepté par les dirigeants sionistes, il est condamné par les dirigeants monde arabe et les Palestiniens, ces derniers n’ayant de fait pas eu voix au chapitre dans cette décision. Après le départ des Britanniques, la guerre israélo-arabe suivant la déclaration d’indépendance d’Israël pousse des milliers de Palestiniens à un exil forcé, des centaines de villages sont rasés, jusqu’à 20 000 personnes meurent : c’est la Nakba. La guerre, remportée par Israël, lui permet de conquérir de nombreux territoires et de les occuper en y délogeant les habitants originels. La Palestine se trouve désormais réduite à la Cisjordanie et à la bande de Gaza.
La guerre, la guerre, la guerre
Depuis le XXe siècle, la conception de la guerre a profondément évolué dans sa mise en place par les États. Et force est de constater qu’Israël et la Palestine ont été des terrains d’expérimentation prolifiques tant les guerres ont proliféré sur ces territoires.
Des guerres de haute intensité ont été nombreuses entre Israël et ses voisins arabes. Par exemple, la guerre des Six Jours de 1967, également remportée par Israël, aboutit à ce que ce dernier s’empare des territoires égyptiens et syriens du désert du Sinaï et du plateau du Golan.
Si dans le cadre des accords de paix entre Tel Aviv-Jaffa et Le Caire ont permis la rétrocession du Sinaï à l’Égypte, le Golan reste annexé par Israël et des colonies s’y implantent de plus en plus profondément. Au-delà même de relations explosives entre ces pays, il est également nécessaire de souligner que les leaders arabes de cette époque se positionnent également vis-à-vis de la Palestine : anti-occidentalisme, rappel des luttes de décolonisation ou encore panarabisme.
Toutefois, ces situations ont poussé un certain nombre de citoyens juifs locaux, à se sentir en insécurité sur des terres auxquels ils étaient pourtant historiquement liés. Par ce fait, nombreux sont ceux à avoir fui le Maghreb, le Moyen-Orient, mais aussi des pays du bloc de l’Est pour immigrer en Israël. Dans les années 1980, se joindront les Juifs éthiopiens qui viendront des camps de réfugiés du Soudan ainsi que de leurs régions d’origine.
Des guerres asymétriques émaillent également l’histoire israélo-palestinienne. Une résistance s’établit contre l’occupation israélienne et les colonies qui amènent des milliers de Palestiniens à s’exiler, le tout dans un climat de profonde violence. Le Fatah, la principale composante de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP), parti politique/organe militaire laïque et socialiste, notamment dirigé par Yasser Arafat, est largement en tête de la lutte entre les années 1960 et la fin du XXe siècle.
Conjuguée à un bouillonnement régional, mais aussi d’interventions étrangères, la cause pro-palestinienne est intégrée dans les nombreuses crises, notamment du fait de la présence d’un grand nombre de réfugiés exilés d’Israël : guerre civile libanaise, politique intérieure jordanienne.
La résistance des Palestiniens face à leurs conditions de vie et leurs aspirations persiste depuis le début du conflit. Dans certains cas, des membres ou des organisations se sont livrés, au même titre que les autorités et militaires israéliens, à des massacres violents.
Avant la guerre actuellement en cours, des massacres et attentats des deux camps ont marqué l’histoire du conflit. Par exemple, l’OLP a réalisé l’attentat-suicide de la route côtière en 1971, faisant 38 morts et 71 blessés en s’attaquant à des bus civils. De même, en 1982, les autorités israéliennes ont soutenu leurs supplétifs au Liban des Phalanges libanaises pour accomplir le massacre de Sabra et Chatila, où jusqu’à 3 500 réfugiés palestiniens ont été tués.
Ce statu quo, ainsi que la dégradation constante des conditions de vie des Palestiniens, ont mené à un enracinement de la lutte, qui éclata en 1987 en une première intifada. Durant cinq années se succéderont des actions militaires et une désobéissance civile palestinienne, et des répressions violentes israéliennes.
Impasses
Cette situation pousse Palestiniens et Israéliens, sous l’égide des États-Unis, à signer les accords de paix d’Oslo en 1993. Ce plan, érigé par Yasser Arafat et Yitzhak Rabin, alors premier ministre d’Israël, bien que ne répondant que partiellement aux aspirations d’émancipation palestiniennes, a été un véritable espoir de l’avènement d’un État palestinien.
Toutefois, les finalités de ces accords ne seront jamais mises en œuvre. Yitzhak Rabin sera assassiné par l’extrême droite israélienne, et les élections qui se succéderont ne donneront le pouvoir qu’à la droite, et notamment Benyamin Netanyahou, peu encline à une quelconque discussion avec les parties palestiniennes.
La montée en puissance de mouvements islamistes, dont le Hamas, coïncide également avec une posture d’attentisme et une corruption de l’OLP et du Fatah. Dans ce cadre, en application du “diviser pour mieux régner”, Netanyahou et les autres gouvernements israéliens n’hésitent pas à faciliter le financement et l’installation du Hamas dans la bande Gaza, tandis que la Cisjordanie reste largement sous l’égide de l’Autorité palestinienne.
Depuis les années 2000, la scène internationale est devenue témoin de l’impasse israélo-palestinienne. Malgré une seconde intifada et des dizaines de guerres et opérations militaires, rien ne semble changer. Devant cet état de fait, les pays arabes sont de plus en plus nombreux à normaliser leurs relations avec Israël.
La situation reste pourtant préoccupante pour des millions de Palestiniens vivant en Cisjordanie, en Israël ou à Gaza. Amnesty International qualifie d’apartheid la situation qu’ils vivent. Les humiliations quotidiennes, l’expansion des colonies, l’asphyxie économique ou les conséquences de vivre sans État, marquent la vie de millions de Palestiniens.
La situation actuelle
La situation actuelle, qui représente probablement la plus grande escalade du conflit historique israélo-palestinien. Il est estimé qu’entre 1948 et 2017, 17 400 personnes seraient mortes des guerres qui se sont succédées qu’importe la nationalité. L’actuelle guerre à Gaza a fait 36 000 morts palestiniens, auxquels s’ajoutent les 1200 morts israéliens des attentats du 7 octobre.
Au-delà même du nombre de morts, l’actuelle riposte israélienne use de méthodes sans précédent. En décembre 2023, trois otages israéliens du Hamas, parvenus à s’enfuir de leurs ravisseurs, se sont présentés torse nus, agenouillés et brandissant un drapeau blanc auprès de Tsahal. Pourtant, ils se sont fait tuer par les mêmes officiers chargés de les libérer. Ceci est un marqueur de la violence et du caractère indiscriminé des frappes d’Israël.
Ces destructions massives, accompagnées de déplacements forcés, de punitions collectives et d’une famine organisée pourraient être constitutives en droit international de crime de guerre. Les Nations Unies ont demandé depuis plusieurs mois qu’Israël permette l’accès aux produits humanitaires. Plus d’enfants sont morts dans la guerre à Gaza que dans toutes les autres guerres ces quatre dernières années. Ces événements ont poussé de nombreux responsable nationaux et internationaux a évoquer un possible génocide à Gaza. Le procureur de Cour Pénale Internationale a demandé l’émission de mandats d’arrêts contre les dirigeants d’Israël et du Hamas. La Cour Internationale de Justice a quant à elle ordonné l’arrêt des opérations militaires à Rafah, où se massent la quasi-totalité des habitants de la bande depuis le début de la guerre. Toutefois, comme le démontre le bombardement des tentes du camp réfugiés de Barkasat, la paix à peu de chances d’émerger sans volonté politique.
Quelles sont donc les perspectives de paix pour cette région en guerre depuis plus de 70 ans ? Les géopoliticiens comme de nombreux diplomates craignent le franchissement d’une guerre régionale, impliquant notamment l’Iran, le Liban et la Syrie. L’avenir de Gaza semble reposer dans les mains du gouvernement d’extrême droite israélien, ce qui jette une inquiétude profonde pour l’avenir des Palestiniens.
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