Par Anne Marie Parent | Dossier Éducation
Il est bien connu que la langue française provient principalement du latin et du grec. Toutefois, au fil des siècles, elle s’est enrichie de mots étrangers.
La linguiste française Henriette Walter s’est penchée sur les 35 000 mots les plus utilisés de la langue française. Parmi ceux-ci, 4192 sont d’origine étrangère: 25 % viendraient de l’anglais, 16 % de l’italien, 13 % du germanique et 6,5 % de l’arabe. Voici trois mots de souches encore plus rares:
Baragouiner
Ce terme signifiant «parler une langue de manière incompréhensible ou approximative» proviendrait du breton bara (pain) et gwin (vin). La Bretagne, région à l’ouest de la France, a sa propre langue, le breton, d’origine celtique.
Selon la légende populaire, durant la guerre franco-prussienne déclenchée par Napoléon en 1870, des soldats bretons ont été envoyés près de Mans, au camp de Conlie. Peu d’entre eux parlaient français. Voulant boire et manger, ils réclamaient du pain et du vin dans leur langue, en répétant «bara, gwin». «Qu’est-ce qu’ils baragouinent?» se demandaient les officiers français.
Des linguistes ont cependant trouvé des écrits comportant le mot baragouin en 1396, qui serait une déformation du terme d’origine grecque «barbare». Il désignait, à l’époque, un «étranger», quelqu’un qui vient d’ailleurs et qui ne parle pas la langue locale. (Je préfère la version de l’étymologie bretonne!)
Cravate
Le mot «cravate» a une histoire inusitée. Il dérive du nom «Hrvat», qui signifie «Croate». Au 17e siècle, la guerre de Trente Ans s’éternise et il manque de militaires français. Le roi Louis XIII fait venir des soldats mercenaires de la Croatie.
Ceux-ci portent autour du cou un foulard noué, que les Français trouvent à la fois élégant et pratique. La bande de tissu croate permet en effet de protéger la chemise et ses boutons. La société française adopte donc cet accessoire vestimentaire sous le nom de cravate, déformation du mot «croate».
Anorak
Ce terme désignant un manteau épais et imperméable vient de la langue des Inuit, l’inuktitut: annuraaq («vêtement»), lui-même dérivé d’anoré («vent»). Les explorateurs de l’Arctique aux 18e et 19e siècles ont adopté ce vêtement pour sa résistance au froid extrême.
Il était à l’époque confectionné avec des intestins de phoque, nettoyés et séchés au soleil, puis cousus ensemble sous la forme d’un manteau à capuchon à enfiler par la tête. Le mot «anorak» apparaît en français dans des récits d’explorations polaires à la fin du 19e siècle.
Expression «J’ai mon voyage»
Pour terminer cette chronique évoquant des mots qui ont voyagé dans notre langue française, allons-y avec l’expression québécoise «J’ai mon voyage!». Elle signifie «J’en ai assez, j’en ai ma dose, j’en ai plein mon casque!», comme dans «Je commence à en avoir mon voyage d’attendre au bureau des passeports». Ou elle peut juste soulever l’étonnement, l’incrédulité: «Quoi? Pierre et Marie vont se marier? J’ai mon voyage!».
Son origine provient du domaine du transport, plus précisément des allers-retours pour aller ramasser et vider les chargements de camions-bennes. Ces déplacements, ou «voyages» finissent par être fastidieux. On devient «tanné» de la situation!